Pour ainsi dire tous les gens que nous avons rencontrés ont fait part de l’existence d’un important sentiment de défiance vis-à-vis du monde politique et plus globalement vis-à-vis de tout ce qui est perçu comme une autorité ou proche d’une autorité. Le président de la commune, ses vice-présidents, mais aussi les représentants du PJD et de l’UDFP rencontrés l’ont pointé comme une difficulté mais ont aussi mentionné qu’ils comprenaient ce sentiment. A Al Hoceima, presque tous les 20 à 40 ans auxquels nous avons parlé manifestaient un fort sentiment de rejet de tout ce qui s’apparente à une autorité: l’ensemble des autorités locales comme nationales, tous les partis politiques, sans distinction, mais aussi les nombreux acteurs associatifs que beaucoup d’entre eux perçoivent comme « infiltrés » par l’autorité. Il est difficile de dire précisément d’où vient ce sentiment. Lorsqu’on pose la question du pourquoi, les réponses varient à chaque fois. Il n’y a pas un évènement précis qui marque la rupture de confiance. Il semble que ce sentiment soit né petit à petit et s’inscrive particulièrement dans la continuité de l’histoire de la Région. Mais plusieurs grands thèmes réunissent en fait les différentes explications évoquées par nos interlocuteurs: L’impression est forte d’un rejet de la région du Rif par les autorités centrales. Ce rejet prendrait d’après les citoyens interrogés diverses formes, allant d’un simple désintérêt pour la région à une véritable politique volontariste de l’Etat central visant à ce que les rifains quittent la région… La situation sociale, en particulier en terme d’emploi, évoluerait très mal depuis des années, sans que les politiques -tous partis confondus- n’arrivent à obtenir des résultats, alors même que tous en font une priorité ; Beaucoup évoquent le fait que l’argent promis pour les investissements dans la région a été détourné par certains individus. Les politiques (le plus souvent mentionnés) et les fonctionnaires en seraient coupables ; Enfin les citoyens marocains plus jeunes compareraient davantage leur situation tant en terme socio-économique qu’en terme de vie politique aux pays européens que ne le faisaient leurs pères. Cela entrainerait des frustrations qui n’existaient pas jusqu’ici ; Ce sentiment est-il propre à Al Hoceima? Difficile pour nous de dire si ce sentiment de défiance est présent également ailleurs au Maroc, puisque notre mission s’est concentrée sur Al Hoceima, même si le fait que de nombreuses manifestations se produisent comme des répliques à celles d’Al Hoceima dans d’autres villes actuellement fait penser que ce sentiment pourrait être partagé. Mais ce sentiment nous a fait penser aussi à ce que vivent les démocraties européennes et américaine aujourd’hui : la tentation du « dégagisme ». On pourrait être tentés de penser que cette défiance du monde politique accompagne un essoufflement global de nos systèmes. Ou peut-être est-ce, là comme à Al Hoceima un conflit de générations exacerbé, dans un monde qui change terriblement vite et où les générations précédentes s’accrochent au pouvoir, aux institutions et méthodes créées par elles ? Faut-il rappeler que l’élection de Trump a pu devenir réalité en particulier parce qu’il s’est érigé comme un candidat anti-establishment ? Cependant à Al Hoceima, ce sentiment a participé à créer le « Hirak » (le « mouvement »). Au début du mouvement, après la mort de Fikri, le Hirak demandait des réponses au politique. Mais ensuite, alors que ces politiques estimaient avancer des solutions, ce sentiment a fait dire aux leaders du mouvement que des promesses ne suffisaient plus. Les mobilisations ont continué.Et ce sentiment a été tellement puissant qu’il semble qu’il a entraîné pour partie l’impossibilité pour le Hirak de s’appuyer sur les partis politiques au niveau local. En effet les autorités locales se disaient fort solidaires du mouvement, et disaient soutenir à tout le moins toutes les revendications socio-économiques du mouvement. Nous avons perçu que les dirigeants locaux des différents partis rencontrés (pour rappel PJD, PAM et notre parti frère, l’USFP) s’opposaient en réalité avec le niveau national, y compris à leur propre parti au niveau national (pour ce qui concerne le PJD), tout comme le « Hirak »… Evidemment c’est très particulier, d’après nous, qu’ils disent cela alors qu’ils constituent les uns –le PJD- la première force politique au pouvoir au niveau central et les autres –le PAM- la première force politique en région et dans la commune. Révélant peut-être de grandes tensions existant aujourd’hui au sein de leur famille politique. A moins que ce ne soit qu’une manière de se dédouaner à bon compte… Ainsi les autorités locales défendent la justesse des revendications socio-économiques et s’inscrivent dans l’idée qu’il faut un vrai dialogue avec le Hirak. Mais sont effrayées par le fait que ce dialogue est rendu difficile par le manque de confiance total du mouvement en tout ce qui n’est pas le mouvement… Un des adjoints au maire nous confie : « Le Hirak a gagné, il doit maintenant laisser l’occasion à l’Etat de réaliser ce à quoi il s’est engagé ». Les élus du PJD rencontrés, eux, embraient très fort sur ce thème : « il y a une crise profonde, un manque de confiance entre la population et l’Etat en profondeur – le Makhzen-, qui forme un deuxième gouvernement. La jeune génération a hérité de ce manque de confiance, y compris au niveau des partis. Ils considèrent que la plupart des partis sont des décors. ». Ces élus expliquent qu’il y a un cercle vicieux dans le fait qu’à chaque élection le Makhzen appuie un parti et qu’au final la crise augmentant, la confiance diminue. Pour eux « c’est une situation qui peut engendrer l’embrasement partout ». Ils ajoutent que le Rif « est manipulé pour des raisons de conflit politique à chaque élection ». Sur ce thème de la manipulation, le maire résumait de la façon suivante : « Il y a eu une série de vérités douloureuses et de graves mensonges. Cependant il faut souligner que les autorités locales sont en première ligne, à Al Hoceima comme ailleurs au Maroc, alors même qu’elles semblent avoir très peu de moyens pour peser réellement sur l’emploi, la santé, l’éducation, et même la police. Les habitants les plus « sages » savent cela et reprochent aux autorités locales de ne pas avoir été