Le 3 mai 2016, j’ai interrogé le Ministre sur les constats très interpellants en terme de discrimination dans les médias que pose l’analyse de l’UCL:
Mme Catherine Moureaux (PS). – Dans la foulée des débats sur les phénomènes de radicalisation, nous avons beaucoup parlé de l’importance de lutter contre les amalgames et de promouvoir une société inclusive. Madame la Ministre, vous êtes bien placée par rapport à la lutte contre les stéréotypes et les clichés. Il s’agit d’une question qui pourrait également vous intéresser à titre personnel. Vous savez mieux que quiconque que la place de la culture et des médias dans la construction de l’identité n’est évidemment pas à négliger.
C’est pourquoi j’ai été particulièrement intéressée par la lecture des résultats d’une analyse menée par des étudiants en communication de l’UCL.
Ils ont analysé une trentaine de fictions – des séries télévisées, originaires des États-Unis, mais aussi du Canada – qui ont eu une large audience en Europe, ce qui est d’autant plus interpellant pour nous. Les clichés détectés sont principalement liés à l’identification des origines arabes au terrorisme. C’est assez impressionnant en termes de nombre. Toutefois, quelques séries, dont la série canadienne intitulée La petite mosquée dans la prairie, viennent nuancer ce diagnostic.
Je voudrais orienter mon propos sur ce qui peut être fait, en Fédération Wallonie Bruxelles, pour porter une approche moins stigmatisante et plus représentative de la richesse de la diversité de la société.
Le ministre a-t-il pris connaissance de cette étude? Si tel est le cas qu’en a-t-il pensé?
Faisant écho à la discussion qui s’est tenue dans le cadre de l’interpellation précédente sur la fonction de production de la RTBF ainsi que d’autres éditeurs en Belgique, par quels leviers peut-on agir pour soutenir et promouvoir des productions amenant une vision plus positive des personnes de toutes origines? Il s’agit d’une question vaste et j’espère avoir une ébauche de réponse.
Mme Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances. – Pour le ministre Marcourt, le constat n’est pas nouveau: les séries télévisées et autres œuvres de fiction sont très souvent le reflet des insécurités d’une société, que ces œuvres en jouent intelligemment ou pas. Ainsi, jusqu’à 1990, il n’était pas rare de voir dans le rôle du méchant de service ou de l’ennemi violent une caricature du communiste russe.
La menace nucléaire prégnante à l’époque a fait place à la menace terroriste de ce siècle. Les époques changent, mais les recettes pour jouer sur les peurs des gens, au travers de différents archétypes, afin de glorifier nos héros de fiction, restent les mêmes. Aujourd’hui, lorsque l’on veut créer une intrigue autour d’une menace terroriste, la solution de facilité est de la représenter grâce au stéréotype de l’Arabe violent.
Au-delà de ce constat navrant, la liberté de création et d’expression des auteurs de fictions doit rester totale. Par contre, le politique a un rôle à jouer sur la perception de la réalité. Il faut développer dans les médias d’information une offre de contenus donnant une image correcte de la réalité et travaillant au rapprochement des cultures, en exacerbant moins les peurs qui divisent, mais en mettant en valeur les points de vue qui unissent.
Comme le ministre Marcourt l’a souligné en réponse à la question écrite de Mme Moureaux portant sur les chiffres d’UNIA pour 2015, il est vrai que le climat est malheureusement propice aux manifestations islamophobes et les événements tragiques du 22 mars dernier risquent bien d’attiser les amalgames, les préjugés et les discriminations à l’égard de la communauté musulmane.
Le devoir du gouvernement au niveau des médias est également de pouvoir offrir à l’ensemble des citoyens une vision de la communauté musulmane qui la présente dans toute sa richesse et pas seulement via les excès de quelques extrémistes.
C’est pourquoi le ministre Marcourt travaille, sur la base des recommandations émises dans le rapport sur la formation des cadres musulmans et les émissions concédées que lui a remis en décembre dernier la commission, à l’attribution d’une émission concédée sur les ondes de la RTBF afin de participer à cette reconnaissance. Pour le moment, on élabore un projet d’émission qui tienne la route et dans lequel se reconnaissent les nombreux musulmans qui adhèrent à la volonté de créer un islam de Belgique, tout en s’adressant également aux non-musulmans. Nous travaillons également pour le moment, le ministre Marcourt et moi-même, à la pérennisation d’un baromètre périodique de la diversité dans les médias.
Cet outil doit permettre aux différents éditeurs de s’interroger sur la représentation de l’égalité et de la diversité dans leurs émissions afin de prendre, le cas échéant, des mesures visant à les promouvoir. Par exemple, le dernier baromètre mettait notamment en évidence la proportion accrue d’hommes vus comme «non blancs» au départ du prisme de perception «auteurs d’actes répréhensibles», ce qui démontre la nécessité pour les médias de prendre en compte tant l’aspect quantitatif de la représentation de la diversité que son aspect qualitatif.
Le ministre Marcourt étant attaché à l’autorégulation du secteur, l’idéal serait pour lui un système où chaque éditeur définirait pour ses programmes des objectifs à atteindre sur une base volontaire. Mais c’est un autre débat.
C’est également pour agir sur cette perception qualitative de la diversité que nous travaillons, le ministre Marcourt et moi-même, en collaboration avec l’Association des journalistes professionnels, au développement d’une base de données d’experts et d’expertes issus de la diversité. L’objectif est de mettre à la disposition des médias et du public un large panel de compétences par une visibilité accrue de ces experts. Toutes les études réalisées à ce jour en matière de diversité à l’écran ou en presse écrite montrent la sousreprésentation des femmes et des personnes issues de la diversité ethnique dans le rôle d’expert interviewé par les médias. Les personnes issues de la diversité ethnique sont habituellement confinées dans des rôles subalternes, passifs, ou représentées via un prisme de perceptions négatives.
Nous continuons donc au niveau du gouvernement à travailler sur ces questions de représentation de la richesse de la diversité de notre société.
Mme Catherine Moureaux (PS). – Cette étude vient une fois de plus renforcer le gouvernement dans son action en ce qu’il ne s’agit pas uniquement de s’attaquer, comme vous le disiez très bien, à la quantité, mais également à la qualité. En effet, on voit bien ici que la diversité et la quantité sont présentes dans ces séries, mais nous savons aussi que la lutte contre les stéréotypes ne vient pas de la quantité, mais de la qualité.
Je voudrais aborder un dernier point. Il s’agit de l’importance de pouvoir faire émerger des acteurs issus des communautés chez nous. La fonction de production est importante. Ces acteurs seront certainement amenés à jouer des rôles qui ne sont pas forcément des «anti-stéréotypes», comme le dit l’article, mais surtout des personnes banales, comme vous et moi. Remarquons que cela s’est déjà produit et ce n’est pas pour rien si ce sont les Canadiens qui ont créé la série un peu particulière, «marginale» comme elle est qualifiée dans l’article, que je citais précédemment. Je pense que des pays comme la Belgique peuvent également montrer la voie de cette normalisation.