Lors du débat d’actualité du 4 mars, le clivage entre le MR et le PS en matière d’enseignement supérieur est devenu plus transparent que jamais : le MR envisage de rendre impossibles es triplements et quadruplements, actuellement exceptionnels et accordés uniquement sur base de l’analyse des causes de l’échec tenant compte d’aspects sociaux, de circonstances exceptionnelles (maladie, décès d’un proche, etc.), n’hésitant pas à appuyer son argumentation sur des contre-vérités.

Le compte-rendu intégral du débat :

Georges-Louis Bouchez (MR). – Récemment, la Flandre a constaté que seuls 30 % des étudiants terminaient leur bachelier dans le délai normalement prévu, c’est-à-dire trois ans. Dans la foulée, plusieurs universités se sont organisées. La KUL par exemple considère que 30 % au moins des crédits doivent être acquis au terme de la première année pour pouvoir poursuivre ses études. Si jamais l’étudiant souhaite changer d’orientation, il devra prouver la réussite de certains cours. À Gand, le choix a été fait d’avoir 75 % des crédits de première année au terme de la deuxième pour pouvoir poursuivre. De manière générale, la Flandre essaie de centraliser les informations sur les résultats des étudiants pour les inciter à réussir ou à se réorienter le plus rapidement et le plus efficacement possible.

Les étudiants perpétuels sont soit des étudiants qui persévèrent dans un secteur ou qui multiplient les disciplines durant une longue période – parce qu’ils peuvent, financièrement entre autres, se permettre de poursuivre leurs études au-delà de deux ou trois échecs –, soit de futurs surdiplômés. Or il faut savoir que 40 % des universitaires travaillent à un niveau inférieur à leur diplôme et que donc, l’allongement des études n’est plus un gage de réussite.

Monsieur le Ministre, disposez-vous de chiffres pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, que ce soit en matière de réussite ou d’employabilité? Qu’en est-il de ces «étudiants longue durée»: envisagez-vous des systèmes proches de celui de la Flandre? Que pensez-vous des étudiants qui, au bout de trois ou quatre ans, sont toujours en première année et persévèrent? Ne pensez-vous pas qu’une réorientation et un encadrement sont nécessaires?

Les moyens mobilisés empêchent la Fédération de venir en aide à des étudiants qui n’ont peut-être pas la possibilité de poursuivre des études en raison de moyens financiers limités.

Mme Isabelle Moinnet (cdH). – M. Bouchez a déjà bien esquissé le contexte. Il fait référence à un article paru ce matin, dans le journal Le soir, dans lequel Mme Hilde Crevits, ministre flamande de l’Enseignement supérieur, incite les étudiants bisseurs à se réorienter. En Fédération Wallonie – Bruxelles, un étudiant peut bisser, mais dans le cas où il trisserait son année d’étude, il ne serait théoriquement plus finançable. Or, depuis la réforme du décret «paysage», on ne fonctionne plus par année d’étude, mais par crédit.

Tenant compte de ce fait, quelles seront les modalités d’application dans le cadre du décret paysage»?

Mme Catherine Moureaux (PS). – Faisons déjà observer qu’il s’agit d’une traduction de propos et qu’il convient dès lors de tempérer les choses par les réserves d’usage dans ce genre de situation. Cependant, le vocabulaire utilisé dans l’article est très négatif à l’égard des jeunes: «étudiants perpétuels», «stimuler dans la poursuite des études». Cela reflète bien l’opinion qu’une certaine droite a de la jeunesse: «encadrer», «régler», et tout sera résolu!

Je ne suis pas certaine que ce type de discours rencontre les besoins des jeunes vu la situation de l’enseignement secondaire, la situation actuelle de nos étudiants ou les moyens financiers de leur famille.

Un autre aspect est que la Flandre a donné beaucoup d’autonomie à ses établissements et ce n’est pas la voie que nous avons choisie.

Par contre, au niveau législatif, ce qui a été mis en place après le décret dit «Bologne» et qui fait encore partie d’un passé récent, politiquement parlant, a fait en sorte que l’enseignement supérieur francophone n’est pas encore stabilisé. Des appréhensions existent tant au niveau des professeurs que des étudiants. Le système est, à mon sens, en phase de transition avec la «modularisation» évoquée à très juste titre par Mme Moinnet. On est également engagé dans un processus de centralisation, par exemple dans les procédures de recours avec l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES). Je pense que les situations en Flandre et en Wallonie sont différentes et que nous devons laisser un peu de temps à l’évaluation de la transition.

Je vous propose cette interprétation et je vous demande quelle est la vôtre par rapport aux propos de la ministre Crevits.

Jean-Claude Marcourt, vice-président et ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias. – Je n’entends pas suivre l’initiative prise par ma collègue et ce, pour plusieurs raisons.

Premièrement, on stigmatise l’étudiant en échec sans individualiser la raison de l’échec. Or les causes peuvent être multiples: la maladie, un accident, un manque de maturité…

Deuxièmement, le décret «paysage» s’inscrit très largement dans l’aide à la réussite. Je pense à l’orientation des étudiants et à leur prise en charge dans l’enseignement secondaire pour anticiper leurs aspirations. Quand l’échec se produit, nous devons pouvoir mener un dialogue avec l’étudiant. Cela fait partie des remèdes appliqués, notamment pour les études de médecine. «Que veux-tu faire? Y a-t-il adéquation entre les études que tu suis et tes aspirations? »

Beaucoup de nos jeunes n’imaginent pas les efforts quantitatifs et qualitatifs à fournir. Nous continuerons donc à travailler sur cette aide à la réussite plutôt que de stigmatiser. Comme Mme Moinnet l’a dit, les étudiants qui triplent ne sont pas financés par notre Fédération. Ils sont d’ailleurs en nombre restreint et il appartient à l’institution de les inscrire ou non, par le truchement d’un dialogue, d’une prise en charge.

Il n’y aura pas de modification substantielle, car même si les modules sont là, on a très largement conservé le premier bac de manière homogène, précisément pour éviter que l’étudiant qui passe du secondaire au supérieur ne soit trop perturbé. Je rejoins ce qu’a dit Mme Moureaux, nous passons d’un système à l’autre. Les éléments fondateurs de la réforme que nous mettons en place, sont l’orientation et les conseils à l’étudiant lors de l’inscription et la capacité d’apporter tous les supports pour l’aider à réussir.

Georges-Henri Bouchez (MR). – L’enfer est pavé de bonnes intentions puisqu’on entend des propos très larmoyants, une rhétorique très connue du parti socialiste. Toutefois, on ne pose aucun constat et on n’ose prendre aucune décision. N’ayons pas peur des mots: des étudiants touristes, cela existe, Monsieur le Ministre, mais à un moment donné, si vous souhaitez mener une vraie politique sociale, il faut faire en sorte que les moyens publics ne soient pas gaspillés. Chaque euro doit être investi pour des étudiants qui, eux, ont envie de réussir et se donnent les moyens d’y parvenir par leur travail.

Si l’on met en place un système plus contraignant, les moyens ainsi récupérés pourraient être investis dans des bourses d’études qui permettraient à des étudiants de ne pas être exclus de l’université pour des raisons financières.

À l’heure actuelle, il y a des étudiants qui font trois ou quatre fois la première année. Chaque fois, un montant colossal est dépensé par la collectivité pour ces étudiants alors que d’autres ne peuvent accéder à l’université parce qu’ils n’en ont pas les moyens.

Si vous vous dites socialiste, sachez que ce n’est pas comme cela que l’on fait du social! C’est toute la différence entre vous et nous!

Mme Isabelle Moinnet (cdH). – Je suis heureuse d’entendre que vous ne suivrez pas l’initiative de votre collègue flamande. En effet, à mes yeux, c’est un système totalement injuste. Comme vous le dites, il est préférable d’installer un dialogue entre l’étudiant et les acteurs de l’enseignement. C’est ce modèle qui nous semble plus juste.

Mme Catherine Moureaux (PS). – Dans ce débat important, il est dommage que nous ayons affaire à une relation des faits totalement incorrecte. Comme l’a dit Mme Moinnet, un étudiant n’est pas finançable quand il suit une année d’études pour la troisième ou quatrième fois. L’université ou la haute école a le loisir de permettre à l’étudiant de poursuivre son cursus, et d’assumer cette décision, mais elle ne le fera qu’après avoir exploré le passé et les raisons de l’échec de l’étudiant et après avoir constitué un dossier d’admission explorant au moins les cinq années précédentes.