Mon intervention en séance plénière du Parlement francophone bruxellois lors du débat sur la résolution CETA:
« Le texte que nous vous demandons de voter aujourd’hui n’est ni anti-Canada ni anti-commerce.
Car s’opposer au CETA tel qu’il a été rédigé par la Commission européenne, ce n’est pas une démarche qui oppose les Belges aux Canadiens.
Et ce n’est pas une démarche qui oppose les tenants d’une austérité protectionniste à ceux du joyeux commerce. En fait, ce n’est même pas, en tant que telle, une démarche qui oppose un modèle décroissant à un modèle productiviste.
Non, s’opposer au CETA tel qu’il a été rédigé aujourd’hui, c’est un sursaut démocratique.
Je vais tenter de le démontrer en quelques minutes.
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Le Canada est un pays avec lequel nous avons des liens étroits. C’est un pays lointain géographiquement parlant mais très proche dans nos cœurs. Parce que nous partageons une langue nationale qui nous est chère, le français. Mais surtout parce que nous partageons avec nos amis – nos cousins canadiens – une certaine vision de la culture, de l’Etat, et des services publics.
Et c’est justement parce que nous partageons une certaine vision de l’Etat et des services publics que nous, citoyens belges, et nos cousins, les citoyens canadiens, partageons les mêmes inquiétudes face au traité de libre-échange « nouvelle génération » qui est sur la table aujourd’hui.
J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs représentants de la société civile canadienne. Si le discours, au Parlement de la Communauté française, des ambassadeur et négociateur du Traité pour le Canada étaient très rassurants sur l’unanimité que rencontrait le CETA au-delà de l’Atlantique, les représentants syndicaux et d’associations diverses avec lesquels j’ai pu m’entretenir, et qui représentaient –excusez du peu- près de deux millions de Canadiens de tous les métiers, donnaient à entendre un tout autre son de cloche !
Ils se plaignent de ce que le traité avait été rédigé et signé sans aucune consultation, dans l’opacité la plus totale. Au même moment les mêmes dirigeants signaient le Partenariat Trans-Pacifique alors qu’ils venaient de s’engager à consulter la population dessus.
Ils relèvent que les accords de l’ALENA n’ont apporté que dérégulation, faillites et montée des inégalités. Ils demandent qu’avant de traiter tout nouveau traité de ce type, une évaluation sérieuse de l’ALENA soit effectuée.
Ils s’inquiètent pour leurs quotas laitiers, pour la vie de leurs mineurs, pour leur culture, notamment pour la culture des Premières Nations.
Ils relèvent avec acuité le conflit d’intérêt qui anime une série des hommes politiques impliqués dans la négociation.
Ils répètent qu’aucune ouverture ne doit être faite quant aux normes en matière de travail et de santé.
Ils expliquent, exemples à l’appui, comment les grandes entreprises canadiennes utilisent un de leurs sièges aux Etats-Unis pour attaquer les lois canadiennes.
Ils avaient demandé à leurs négociateurs d’inclure dans le Traité le respect des huit conventions fondamentales de l’OIT, ce que semble-t-il la Commission a refusé !
Et ils expriment de grandes craintes par rapport à la clause de règlement des différends (ICDS/ICS).
Ces craintes et ces revendications sont les nôtres !
On voit bien que l’on sort d’un affrontement entre Etats pour entrer dans un affrontement bien plus pernicieux : la lutte pour le pouvoir entre les puissances économiques et les démocraties.
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Je vous le disais : s’opposer au CETA tel qu’il a été rédigé aujourd’hui, c’est un sursaut démocratique.
J’en veux pour preuve l’opacité des négociations et l’opacité du produit final.
L’opacité des négociations, tout le monde est déjà au fait.
Mais l’opacité du produit final, je voudrais en dire deux mots. Donc parlons un peu de ces fameuses « listes négatives ».
Les traités commerciaux antérieurs faisaient une liste des matières concernées par le traité. C’est ce qu’on appelle le système des listes positives. Les nouveaux traités, CETA, TTIP, TISA, font une liste de ce qui n’est pas concerné par le traité.
Donc tout ce qu’on n’a pas explicitement exclus du champ d’application du traité est concerné par le traité.
C’est supposé plus simple.
Il y a deux bémols :
- C’est en fait plus compliqué : 3 classeurs, 850 pages, exemple de l’Allemagne;
- Tout ce qui n’est pas encore connu – nouvelle technologie par exemple – est d’office inclus…
Je vous le disais : s’opposer au CETA tel qu’il a été rédigé aujourd’hui, c’est un sursaut démocratique.
J’en veux pour preuve le mécanisme de règlement des différends investisseurs-états. S’il a été effectivement modifié ces dernières semaines, il soulève toujours l’inquiétude et une série de questions :
- Quelle cour d’appel?
- Quelles assurances contre le conflit d’intérêt?
Mais surtout : pourquoi faut-il d’un tel mécanisme ?
Les structures étatiques au niveau européen et canadien se ressemblent. L’impartialité de la justice y est reconnue. Dès lors pourquoi inclure ce mécanisme de tiers régulateur chargé d’endosser le rôle de juge entre les parties ?
Le négociateur canadien, M.Johnson, explique que c’est parce qu’il faut assurer la célérité et l’expertise du jugement.
C’est intéressant. Mais le coût de cette nouvelle instance sera supporté par les Etats et les entreprises. Ces sommes ne pourraient-elles pas plutôt être affectées à nos services publics de justice afin d’accélérer les procédures ? Quant à l’expertise, un raisonnement identique peut être tenu. La question du pourquoi demeure.
Et si la mission de ce tribunal d’exception était d’intimider les Etats ? De pétrifier les appareils politiques ? « N’en faites pas trop car des juges extérieurs dont vous ne connaissez pas les outils et la jurisprudence pourraient vous demander des sommes considérables ! »
La crainte est loin d’être fanstamatique : quand l’ISDS a été mis en œuvre dans le cadre d’un accord bilatéral ou dans le cadre de l’ALENA, dans la toute grande majorité des cas, le tribunal « tiers » a tranché en faveur des multinationales. Et singulièrement des multinationales américaines en ce qui concerne l’ALENA.
La célérité et l’expertise peuvent être acquises par un autre biais. Pour ce qui est de la partialité, c’est peut être plus difficile…
Je vous le disais : s’opposer au CETA tel qu’il a été rédigé aujourd’hui, c’est un sursaut démocratique.
J’en veux pour preuve la coopération règlementaire.
Ce mécanisme vise à donner aux multinationales le pouvoir de coécrire les normes, avant que toute instance démocratiquement élue n’ait eu à se prononcer sur la question.
Une forme de démocratie participative particulièrement avancée…
J’en veux pour preuve les clauses de statu quo – le standstill- et de cliquet – la ratchet clause-.
Ainsi c’est par le mécanisme du cliquet que nous devons être moins inquiets que les Canadiens quant à nos services culturels.
En effet, l’Accord Général sur le commerce des services a déjà ouvert des brèches chez nous et nous a empêché d’exclure certains services culturels tandis que le Canada les a exclus. Le texte antérieur nous a lié pieds et poings.
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Chers collègues,
Nous avons la responsabilité aujourd’hui de ne pas déléguer notre capacité à réguler.
Nous devons nous assurer de pouvoir défendre nos normes sociales et environnementales.
En effet comment ne pas percevoir les mécanismes que je viens de vous décrire comme des moyens de contourner les décisions de nos assemblées démocratiquement élues ?
Comment oser jeter en pâture notre architecture complexe de subsidiarité aux investisseurs ? Je fais là référence à la demande que nous relayons aujourd’hui en provenance d’Allemagne de voir ce texte examiné par les instances juridiques compétentes au niveau européen afin de vérifier s’il satisfait aux Traités européens en vigueur.
Chers collègues,
Nous voulons reprendre les pleins pouvoirs au fédéral car dans ce dossier, face à un futur qui s’ouvre à l’infini devant nous, nous exigeons que l’Europe se dote de modèles d’accords commerciaux qui placent au centre de leurs préoccupations le bien être des citoyens européens et canadiens et qui garantissent que soient respectée et non contournée toute décision démocratique de réglementer quelque service que ce soit si le contexte économique budgétaire ou social le nécessite.
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Et je terminerai, excusez-moi pour ceux qui l’ont déjà entendu, par les mêmes phrases qu’en Communauté française :
Le commerce, bien sûr, mais pas sur le dos des travailleurs ! Encore moins au prix de leurs droits et de nos valeurs et certainement pas au seul bénéfice des multinationales.
Nous ne nous trouvons plus dans un débat de souveraineté nationale ou locale, mais dans un débat de souveraineté des peuples.
Notre démarche n’est ni anticanadienne ni anticommerce, ni antieuropéenne, elle est prodémocratie ! »