Ce vendredi 24 février, nous avons adopté la résolution concernant la ségrégation ciblée à l’encontre des métis issus de la colonisation belge et ses conséquences dramatiques, en ce compris les adoptions forcées en commission du budget du Parlement francophone bruxellois. Mon intervention et la résolution ci-dessous: Madame la présidente, chers collègues, Je suis très heureuse, et très fière, de pouvoir apporter mon soutien au texte de résolution qui est aujourd’hui à l’ordre du jour. Nous sommes aujourd’hui en présence de quelque chose de plus qu’une résolution. C’est un travail d’introspection. Ce texte nous permet en effet de réaliser un examen de conscience de ce que nous sommes – nous élus du peuple belge. Quel bilan pouvons-nous tirer des accomplissements – glorieux comme odieux – de la société que nous représentons, aujourd’hui comme dans le passé ? Est-ce que nous utilisons à bon escient cette petite part de représentativité temporaire et de cette confiance dont nos concitoyens nous gratifient ? Est-ce que les institutions que nous bâtissons jour après jour servent toujours au mieux notre société ? Est-ce que nous les améliorons ? Est-ce qu’elles ont toujours été exemplaires ? Est-ce qu’aujourd’hui nous pouvons regarder droit dans les yeux nos amis de l’Association des Métis de Belgique et leur dire que tout va bien et que nous sommes droits dans nos bottes, avec la paix dans l’âme ? La réponse est évidemment non. Au cours des derniers mois nous nous sommes plongés, au cours de nombreuses réunions de travail, en lisant les ouvrages comme celui d’Assumani Budagawa, dans notre propre passé. Il y a un petit siècle à peine, notre société belge, bourgeoise, positiviste, instruite, civilisée, industrialisée, organisait un régime par bien des aspects criminel. Notre res publica constitutionnelle, parlementaire et démocratique perpétrait des crimes en-dehors de ses frontières. La main sur le cœur, un exemplaire de notre Constitution libérale consacrant les droits de l’Homme dans l’autre main, le colonisateur belge bâtissait ses institutions prétendument modernisatrices. Un crime auquel tout le monde se livre et dont personne ne s’émeut perd son statut de crime, c’est-à-dire de tabou interdit et sanctionné par la société. L’exploitation des richesses naturelles et des populations d’Afrique était légitimée par une idéologie raciste qui travestissait le crime avec un voile d’œuvre civilisatrice. Non seulement le crime n’était plus le crime, mais il était même un apport de civilisation à ceux qui en étaient privés. Le crime était donc positif. Chers collègues, Nous sommes aujourd’hui très loin d’avoir fait le bilan de tous les méfaits commis en Afrique et de par le monde dans le contexte du colonialisme. À mesure que cette période s’éloigne de nous, les crimes de nos aïeuls deviennent une abstraction pour des gens qui ne les comprennent pas ou ne les connaissent pas. La psychique est ainsi faite que nous avons tendance à oublier nos défauts et nos erreurs pour construire une image favorable de nous-mêmes ou de la communauté humaine à laquelle nous appartenons. Dans ce contexte la facilité tendrait à nous amener à oublier les crimes du passé de notre pays. C’est plus confortable de balayer cela sous le tapis, d’autant plus que bientôt plus aucun témoin, victime ni auteur de ces crimes ne sera plus là pour en parler. Ce n’est pas ainsi que je fonctionne, et ce n’est pas ainsi que fonctionne mon Parti. Ce n’est en principe même pas la philosophie sur laquelle notre pays est fondé. « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». C’est le libellé de l’article 1382 du Code civil, en vigueur dans nos régions depuis plus longtemps que notre Constitution. La philosophie dont cette courte phrase est porteuse est à la base de l’ordre auquel l’État belge est également soumis. Cela veut dire qu’aujourd’hui l’État belge est tenu de réparer les crimes commis en son nom par le passé. La première chose est de reconnaître ces crimes et les dommages, les souffrances qu’ils ont causé à leurs victimes, parmi lesquelles figurent les métis. Chers amis, Nous vous avons entendu. Nous vous avons compris. Nous reconnaissons pleinement vos souffrances et le lien de causalité entre celles-ci et les crimes que nos aïeuls ont perpétré au nom de l’État belge. À la modeste échelle de la Commission Communautaire Française, de son Assemblée que nous formons, et des compétences dont elle est dépositaire, en notre qualités de citoyens, d’élus, de libre-exaministes et de démocrates nous initions aujourd’hui un travail commun. Un travail de mémoire tout d’abord. Un travail de conscientisation et de renversement de la tendance. Par notre résolution d’aujourd’hui nous posons les jalons d’une enquête scientifique qui donnera lieu à une reconnaissance des crimes, à des excuses officielles et à des réparations. La finalité de l’article 1382 du Code civil que j’ai cité est la restauration d’un équilibre rompu, de serait-ce que de manière symbolique, par une compensation. Comment rendre à un homme ou à une femme les années passées loin de sa mère ? Le minimum c’est de l’aider à la retrouver. Le temps n’a malheureusement pas attendu. Certains ne retrouveront peut-être pas leur mère. Mais il est dans l’obligation de l’État belge de leur fournir des réponses à leurs questions. Qui suis-je comme individu ? Quel nom est-ce que je porte ? Est-ce qu’il y en a beaucoup d’autres dans ma situation, se posant les mêmes questions ? Ai-je un frère ou une sœur quelque part, dont j’ignore l’existence ? Je suis aujourd’hui fière que le Parlement francophone Bruxellois écrive aujourd’hui la première page d’un chapitre, que nous espérons plus heureux, de la vie des métis que l’État belge a bouleversé et assombri dès leur naissance. Je remercie mes collègues de la majorité comme de l’opposition pour ce travail commun qui se poursuivra dans d’autres assemblées parlementaires de notre pays. Je vous remercie de votre attention. Retrouvez la résolution en cliquant sur ce lien: résolution concernant la ségrégation ciblée à l’encontre des métis issus de la colonisation belge et ses conséquences dramatiques, en ce compris les adoptions forcées
METIS : AFFAIRE D’ETAT, SECRETS D’ETAT, RACISME D’ETAT
Les métis issus de la colonisation belge en Afrique A l’invitation de l’Association des Métis de Belgique, j’ai eu l’occasion, ce 20 octobre dernier, d’assister à une matinée de réflexion sur la problématique des métis issus de la colonisation belge en Afrique. Entre témoignages, projection documentaire et exposés scientifiques, c’est un autre crime de la colonisation qui a été mis au jour dans l’enceinte du Parlement bruxellois. Loin de l’imagerie habituelle qui entoure cette période, présentant d’un côté le missionnaire belge et de l’autre le colonisé africain, la question des métis nés de relations entre femmes africaines et colons belges reste encore aujourd’hui occultée dans le récit colonial. A l’époque, leur existence-même était perçue comme une réelle épine dans le pied de l’entreprise coloniale, basée sur un apartheid qu’on a pu qualifier de « naturel ». Vus comme des éléments « instables », tout sera fait pour les isoler, les « dénaturer », les remodeler à l’occidentale. Ils seront donc arrachés à leur mère, isolés dans des institutions religieuses, jusqu’à, pour certains, être évacués en Belgique sous de nouveaux noms à l’heure des indépendances africaines. Un racisme d’Etat Outre les souffrances terribles endurées par ces enfants, ces mères et parfois ces pères, ce chapitre de notre histoire met en lumière un système d’état qui ne peut être qualifié que de raciste. La volonté méthodique des autorités d’exclure ces enfants, n’entrant pas dans les catégorisations raciales « reconnues » répond à cette logique criminelle et bien connue de toute entreprise raciste : classer les êtres humains pour permettre au système tout entier de vivre de l’exploitation des uns et des autres. Il en résulte pour les protagonistes des traces indélébiles dues notamment au déni identitaire dont ils ont été les victimes et au silence assourdissant entourant leur histoire personnelle. Coupés de leurs origines, éloignés de leurs parents, de leur fratrie, privés de leur nom et de leur langue maternelle, la plupart ont dû faire des démarches difficiles en vue de retracer leur filiation. Pour certains, cela n’a même pas encore été rendu possible. Et aujourd’hui ? A la lumière de ces faits, il apparait une fois de plus que notre histoire coloniale et les crimes qui l’ont accompagnée ne sont pas encore totalement assumés. Une reconnaissance officielle de ces lourdes fautes du passé est pourtant un « devoir d’histoire » dont notre état ne peut faire l’économie ! Cela passe également par un enseignement du colonialisme dans nos écoles qui se doit d’être plus complet, systématique et critique. Plus que jamais, il est temps d’avancer sur ces matières car ce qui est en jeu, quelles que soient nos origines, c’est notre histoire, et donc notre identité à toutes et tous !