Ce 22 avril, j’interrogeais la Ministre Fremault sur le phénomène de Sherwoodisation à Bruxelles, en Commission des Affaires sociales de la Commission communautaire commune (COCOM). Retrouvez ci-dessous le texte complet (non-officiel) de ma question orale : « Un article récent publié dans le journal du droit des jeunes par un conseiller du FOREM pointe l’existence d’un phénomène dit « de Sherwoodisation » en Région wallonne. Concrètement, des personnes coupent tout lien avec la société, on perd littéralement leur trace. C’est un problème qui touche apparemment toutes les villes européennes. Les mesures d’exclusion du chômage des personnes bénéficiant jusque-là d’une allocation d’insertion sont entrées en vigueur le premier janvier 2015. Je ne reviendrai pas ici sur ces mesures décidées par le fédéral, qui sont à mon sens lourdes de conséquences quant au modèle social choisi. L’ONEm, dans une note diffusée mi-janvier, estime que 3.248 bruxellois ont été exclus au 1er janvier. Le service d’étude de la FGTB estimait quant à lui en novembre 2014 que le nombre d’exclus devrait atteindre 9.000 personnes à Bruxelles. On a déjà parlé dans cette commission durant la législature précédente et encore tout récemment de l’impact de ces transferts sur les CPAS bruxellois. Mais toutes les exclusions du chômage n’aboutissent pas nécessairement à une prise en charge par les CPAS. On sait par exemple que des personnes en situation de cohabitation pourraient ne pas obtenir de revenu d’intégration sociale (RIS). Ceci n’est pas un phénomène mineur: L’ONEm estime qu’un exclu sur deux est en situation de cohabitation, ce qui rejoint d’ailleurs l’estimation de la FGTB. Et, plus généralement, en matière d’octroi du RIS, il appartient à chaque centre d’apprécier pour chaque personne sa disponibilité au travail ou les motifs d’équité permettant d’y déroger et ce, en application de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale. Par ailleurs, le recours au CPAS étant stigmatisant aux yeux des demandeurs d’emploi – ce qu’ont montré notamment des travaux menés par l’Institut des Sciences du Travail de l’ULB-, certaines personnes qui pourraient éventuellement s’adresser aux centres s’y refuseront absolument, préférant « bricoler » des solutions dans l’intimité. Concrètement, les personnes exclues du chômage qui ne s’adressent pas à un CPAS ou qui se voient refuser l’aide d’un centre risquent de se tourner vers le travail au noir, ou de se retrouver dans une situation de rupture complète du lien social. Le phénomène de « sherwoodisation » risque donc d’être gravement renforcé par les mesures actuelles, et avec lui les corollaires que sont l’augmentation du travail non-déclaré, du nombre de squats d’exclus, de la mendicité, des vols à la tire pour se procurer des moyens de subsistance, du nombre de personnes en errance dans les rues, etc. Le baromètre social bruxellois nous le rappelle chaque année : la situation est déjà critique à Bruxelles. Pour moi, il est absolument essentiel, en termes de pilotage des politiques régionales de pouvoir objectiver, outre les transferts vers les CPAS, l’impact des exclusions de chômage n’aboutissant pas à une prise en charge des CPAS. J’en viens donc à mes questions : Avez-vous pris des mesures permettant d’objectiver l’impact de cette catégorie d’exclusions ? Le cas échéant, des mesures sont-elles prévues afin de faire face à cet impact, notamment en soutenant les centres offrant un premier accueil social ? Avez-vous pris des contacts avec vos homologues des autres régions ou d’autres personnes ressources dans les deux autres régions du pays à ce sujet ? Je vous remercie de vos réponses. Réponse de la ministre : Merci Mme Moureaux. Alors effectivement ce phénomène de sherwoodisation – l’expression fait un peu prêter à sourire parce qu’elle fait appel à des images un peu enfantines, mais c’est très parlant en tant que tel – fait partie du phénomène plus large de la non-accessibilité et du non-recours aux services d’aides. Il est décrit dans la littérature, et des publications de l’OCDE mentionnent des taux de non-recours dans certains pays qui vont de 20 à 65% des bénéficiaires potentiels. Pour certaines prestations qui sont conditionnées à des enquêtes sur ressources, on arrive jusqu’à un taux de 80%. Ces dysfonctionnements sont souvent présents lorsque la façon dont les systèmes de prise en charge sont organisés est complexe, que cela entrave l’accès aux prestations, aux services. On pointe une fragmentation des services, une absence de coordination, des impératifs de contrôle, l’idée d’une suspicion systématique d’abus et le fait que la circulation d’informations ne serait pas efficace et poserait problème tant pour les bénéficiaires que, de manière paradoxale, pour les professionnels du secteur social. Les études montrent que ces non-recours se traduisent en fait par un report de la charge dans le temps en bout de course et un coût évidemment supérieur pour la collectivité car les problématiques qui ne sont pas prises en amont ont une grande probabilité de s’aggraver. Cela rejoint un tout petit peu le débat sur la question de la médiation de dette, sur le fait que forcément, plus on prend la problématique en amont, plus on a des chances de pouvoir s’en sortir. Alors sur les mesures qui permettent d’objectiver l’impact de ce phénomène, l’Observatoire de la Santé et du Social nous signale qu’il pourrait être estimé à partir du fichier de la banque carrefour de la sécurité sociale. Ce fichier construit, on le sait, à partir du registre national, permet d’identifier les personnes qui ne sont couvetes ni par la sécu ni par un système d’aide sociale ainsi que les personnes qui en sortent. Et parmi les personnes qui y figurent celles qui répondent au phénomène de sherwoodisation seraient rapidement identifiées. Mettre en place maintenant ces mesures nécessite un investissement en temps et en personnes car on doit avoir un accès à la banque carrefour, dans ce but, et répondre à toutes les obligations légales en matière de protection de la vie privée. Qu’est-ce qui se passe pour ces personnes qui ont perdu leur droit au revenu de substitution, qui n’ouvrent pas leur droit au RIS ? Les études de suivi longitudinal de ce type de parcours n’existent pas pour Bruxelles, et je le regrette. Si