Quelle place pour le tourisme aujourd’hui à Al Hoceima ? Dans leur présentation de la situation actuelle de la région, les élus locaux n’ont pas insisté sur le tourisme. Mais lorsque nous sommes revenus sur les ressources principales de la région, c’est cependant une des trois ressources principales qu’ils nous ont évoquées. Il y a évidemment un paradoxe là derrière vu les qualités étonnantes du site (voir fiche sur la géographie de la région). Dans Manarat Al Moutawassit, le grand plan de développement pour la région, il est également peu question de tourisme, hormis un projet énorme de prolongement de la corniche (voir fiche sur le plan). Mais le nom du projet – « le phare de la Méditerranée »- ainsi que le catalogue des réalisations programmées –toutes magnifiques au regard et très ambitieuses- peut faire penser qu’il s’agit de faire de la ville une destination de tourisme d’une journée ou de tourisme de luxe. Sans que cela ne soit explicitement mentionné cependant. Mais il y a tourisme et tourisme aujourd’hui à Al Hoceima. Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) qui reviennent sont-ils des touristes ? Ils ont une importance capitale dans l’économie de la région. Les autres, ce sont les Marocains d’ailleurs au Maroc et les Européens et Américains. Ceux-là se comportent davantage comme les touristes que nous connaissons : location d’hôtel, repas pris à l’extérieur. Les MRE se comportant pour partie comme des locaux, c’est-à-dire en occupant leur bien sur place et en achetant les produits de base et en les cuisinant. Le tourisme comme source d’emploi local Le représentant de l’USFP, qui est l’ancien maire d’Ajdir, nous a raconté comment sur la thématique « emploi » un gouvernement antérieur avait d’après lui raté une occasion majeure. Ainsi il explique que par le passé il y avait à Ajdir un merveilleux Club Med. Trois cents familles du lieu en vivaient, sans compter les jeunes qui y travaillaient. Le Club était composé de cases, qu’il a fallu à un moment donné rénover. D’après lui le Ministère du Tourisme de l’époque a mis des bâtons dans les roues de l’opérateur au lieu de soutenir sa démarche. Le Club a fermé en 2002. Pour lui c’est ce type de projets qu’il faut développer pour garder les gens dans le Rif en développant l’emploi. Il regrette que depuis un banal hôtel ait été construit sur ces terres. En fait les citoyens rencontrés font fort la différence entre les types de tourisme. Ils aiment leurs MRE. Et ils pensent que le tourisme doit amener de l’emploi. Par contre ils ont été plusieurs à nous exprimer d’une manière ou d’une autre qu’ils ne souhaitaient pas que leur ville devienne une destination du tourisme de masse. Une chose nous a frappé lors de notre séjour. Même si nous n’avons pu interroger qu’un petit nombre de travailleurs de l’hôtellerie, l’unanimité de leurs réponses nous a étonnés : aucun n’avait grandi ou n’avait étudié à Al Hoceima. Ils avaient tous appris leur métier dans une des grandes villes environnantes… Nous avons cherché à savoir si une formation d’hôtellerie existait à Al Hoceima. Il semble que ce ne soit pas le cas. Ceci ne facilite évidemment pas du tout l’engagement de personnes du lieu dans ce secteur du tourisme. D’après nous, si l’ambition pour la ville est qu’elle soit d’un attrait majeur pour les touristes, il faut que les autorités se penchent sur cette question. Soit en développant une formation locale à ces métiers, soit en mettant en place de grandes facilités pour les jeunes qui voudraient choisir ce métier : aides pour aller étudier ailleurs et place garantie au retour. La fréquentation cet été Tous les touristes sont inquiets de la situation actuelle. Les MRE bien au courant par les réseaux sociaux des difficultés que connaît la région pourraient moins revenir cet été. Cela préoccupe beaucoup d’habitants. Les Marocains d’ailleurs dans le Maroc et les Européens et Américains pourraient être moins influencés par les réseaux sociaux. Mais certaines agences de voyage pourraient déconseiller la destination cet été. Et de ce côté-là aussi la crainte est réelle qu’ils viennent moins cet été. Sur place, plusieurs opérateurs touristiques nous ont fait part de leur vécu par rapport aux répercussions du conflit politique sur leur travail cette saison. Un patron d’hôtel nous a priés de faire revenir les touristes. Il nous a expliqué que 90% de ses réservations avaient été annulées. Une femme dirigeant un club de plongée, elle, était plutôt rassurante : elle n’avait pas jusqu’ici l’impression que ses clients seraient moins nombreux que les années précédentes. En se rendant sur la corniche et sur Miramar, ceux de nos membres qui étaient déjà venus à Al Hoceima ont vu une claire baisse de fréquentation. Des instructions royales ont été relayées le 10 juillet, alors que nous étions sur place, qui visaient à accélérer le retrait des forces de l’ordre pour sauver la saison estivale. Cependant nous n’avons pas pu percevoir le mouvement de retrait pendant notre séjour. Si nous avons vécu une ville sûre pour les touristes, notre conclusion sur ce point de la fréquentation cet été est claire : seule la combinaison de deux éléments pourrait radicalement changer les décisions des touristes. Il faudrait d’une part que les manifestants s’engagent à continuer les manifestations de manière pacifique. Et d’autre part, et c’est déterminant, il faudrait que le retrait des forces de l’ordre soit effectif. Cette combinaison devrait, de plus, être largement publicitée par les médias pour être véritablement efficace.
3. Le plan de développement stratégique de la province « Manarat Al Moutawassit »
Le Manarat Al Moutawassit (MAM) est sur toutes les lèvres à Al Hoceima. Et pour cause, il s’agit d’un grand programme de développement pour la province qui avait été lancé en 2015. Ce programme destiné à faire de la ville « le phare de la Méditerranée » est ambitieux. Il prévoit durant la période de 2015 à 2019 de mettre en place 530 projets portant sur 5 axes : la gestion du territoire, la promotion de l’environnement social, la protection de l’environnement, le renforcement des infrastructures, et le développement de l’espace cultuel. Le tout pour un budget de 6,5 milliards de dirhams soit 59 millions d’euros. Aujourd’hui, deux ans après son lancement officiel, peu de concrétisations ont vu le jour dans la province. Seuls 10 projets auraient été réalisés. A ce sujet, les responsables locaux que nous avons rencontrés expliquent la responsabilité de l’état central dans les retards de la mise en place. Selon eux, il ne s’agit pas d’une spécificité liée au pays : de tels retards sont courants pour des projets d’une telle envergure. Néanmoins, les raisons plus précises des dysfonctionnements restent floues. Au fil de nos rencontres, nous percevons que la décentralisation, mais surtout les rivalités entre les partis politiques ont pu y jouer un rôle. Une mise en place relancée Le mouvement « Hirak » va dès son amorce s’emparer des projets prévus par le programme de développement et les intégrer dans son cahier de revendications. Pour rappel, le projet avait été officiellement lancé par le Roi et communiqué à la population en 2015. A la fin du mois de juin 2017, et suite aux manifestations continues à Al Hoceima, Mohamed VI lui-même s’empare du dossier. Il commande deux enquêtes à l’Inspection générale de l’Intérieur et à l’Inspection générale des finances et somment les ministres de tout lancer de manière concrète avant de partir en vacances. Dans ce contexte, les autorités locales que nous avons rencontrées se sont montrées rassurantes sur les suites du programme de développement. Elles estiment que le mouvement Hirak a été très positif pour l’avancée concrète des projets. Patience et confiance sont demandées aux citoyens… En insistant, nous avons pu visiter le chantier du nouvel hôpital provincial d’Ajdir. Outre les nombreux travaux d’embellissement des voiries, ce sont les seules concrétisations matérielles d’une accélération de la mise en œuvre du MAM que nous avons pu observer durant notre court séjour à Al Hoceima. Un paradoxe nous est apparu au fil de notre mission et de nos conversations avec les habitants au sujet de ce fameux plan de développement que tous semblent appeler de leurs vœux : Quelle place pour le secteur de la pêche ? A Al Hoceima, ce secteur a par le passé nourri des milliers de familles. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous nous interrogeons sur le fait que cette dimension faisant partie de l’ADN de la ville ne se retrouve pas dans le plan créé pour la province. Alors même que le Ministère de la pêche maritime finance le programme à hauteur de 320 millions de dirhams. Des questions subsistent D’un point de vue technique également, nous nous interrogeons sur plusieurs aspects de la mise en place du programme. Sur place, nous avons comme dit plus haut constaté de nombreux travaux sur les voiries employant des ouvriers. Il apparait que ceux-ci ne sont pas originaires d’Al Hoceima mais nous dit-on « des régions du sud ». Ce constat nous amène à nous poser la question de l’emploi des ressources humaines locales dans les immenses chantiers prévus dans le Manarat Al Moutawassit. Le taux de chômage des jeunes à Al Hoceima est très important. Puisque les travaux sont financés par de l’argent public, exiger de la part des entrepreneurs d’employer des travailleurs issus de la province apparaitrait comme une première réponse concrète aux besoins d’emploi de la population locale. Concernant la pérennité des infrastructures, nous n’avons pas eu l’occasion d’avoir accès aux documents précisant pour chaque projet : le coût des équipements, les frais de fonctionnement et le nombre d’emplois créés. Néanmoins, lors de nos rencontres avec les autorités et un médecin, il nous a été dit que par le passé ces trois aspects manquaient cruellement lors de la construction de nouvelles infrastructures. C’est donc un élément qui devra sans doute maintenir l’attention des autorités locales et du mouvement afin de permettre que les bâtiments construits puissent être réellement mis au service des usagers via des budgets de fonctionnement leur ayant été strictement attribués. Plus généralement, lors de nos entretiens avec les autorités locales et lors de la consultation du Manarat Al Moutawassit, nous n’avons pas perçu quel était le positionnement stratégique de la ville d’Al Hoceima sur la côte méditerranéenne marocaine aux côtés de Nador, la ville industrielle, et de Tanger le port international. Nous reviendrons sur ce thème notamment dans la fiche consacrée à la pêche. « Quelle place pour le secteur de la pêche ? A Al Hoceima, ce secteur a par le passé nourri des milliers de familles. Qu’en est-il aujourd’hui ? »