Voici les pistes que je propose pour agir dès maintenant contre la discrimination à l’embauche.
Article paru dans lesoir du jeudi 11 février 2016.
Discrimination à l’embauche: pourquoi les politiques ont peu d’effet
A Bruxelles, le bilan des principaux outils anti-discrimination à l’embauche est jugé assez insatisfaisant par les acteurs du terrain. Le PS réclame des mesures plus contraignantes.
En janvier, Samira a postulé pour un emploi d’enseignante dans une école de Jette. Elle n’a pas été rappelée. Elle s’est présentée sous le pseudonyme de Cécile et a subitement décroché un entretien. Mohammed a eu une histoire similaire : les portes du poste qu’il convoitait se sont subitement ouvertes lorsqu’il a choisi de se faire appeler Mathias. Ces exemples récents, très médiatisés, montrent à quel point la discrimination à l’embauche reste un problème conséquent à Bruxelles.
Les chiffres du guichet discrimination à l’embauche d’Actiris (voir ci-dessous) le montrent : chaque année, de nombreux dossiers sont ouverts. Francine Devriese, responsable de la cellule, commente : « Depuis l’ouverture du guichet, il y a une constante : 50 % des dossiers concernent des personnes discriminées pour leur origine ethnique ou sociale. Alors que pour une grande partie des dossiers, les personnes concernées sont belges… Cela me fait me poser de nombreuses questions. »
De manière générale, le phénomène est loin de s’améliorer : selon le dernier monitoring socio-économique, le taux de chômage des personnes d’origine étrangère reste beaucoup plus élevé (30 %) que celui des Belges d’origine (10 %). Les chiffres n’ont quasi pas bougé entre 2008 et 2012 (voir le graphique ci-dessous). « Alors que la proportion de la population d’origine étrangère est passée de 66 % à 72,1 % entre 2008 et 2012 », constate-t-on chez Actiris.
Pour le PS, une formation politique particulièrement sensible à la question (la loi antiracisme de 81 a été portée par Philippe Moureaux, la loi anti-discrimination de 2003 par Laurette Onkelinx, les ordonnances bruxelloises diversité de 2008 par Rachid Madrane), il est temps d’aller un pas plus loin. La députée bruxelloise Catherine Moureaux juge les outils existants insuffisants, son avis est partagé par d’autres acteurs de terrain. Elle presse donc le ministre de l’Emploi Didier Gosuin (Défi), partenaire de majorité du PS à la Région, d’agir : « Il a trois armes qu’il peut utiliser dès maintenant. ».
Pour le PS, une formation politique particulièrement sensible à la question (la loi antiracisme de 81 a été portée par Philippe Moureaux, la loi anti-discrimination de 2003 par Laurette Onkelinx, les ordonnances bruxelloises diversité de 2008 par Rachid Madrane), il est temps d’aller un pas plus loin. La députée bruxelloise Catherine Moureaux juge les outils existants insuffisants, son avis est partagé par d’autres acteurs de terrain. Elle presse donc le ministre de l’Emploi Didier Gosuin (Défi), partenaire de majorité du PS à la Région, d’agir : « Il a trois armes qu’il peut utiliser dès maintenant. ».
Des pistes
Un : accélérer la mise en place de « Zeus », une zone franche autour du canal de Bruxelles où les entreprises reçoivent des aides si elles stimulent le recrutement local. Le projet (plus de détails ci-dessous) n’est nulle part. Selon Didier Gosuin, il se heurte à des problèmes législatifs : « La définition d’entreprise telle qu’elle est prévue dans le texte n’est pas correcte et les arrêtés doivent passer sous les fourches caudines de l’Europe. »
Deux : utiliser toutes les compétences de la Région en ce qui concerne les agences d’intérim et les organismes d’insertion professionnelle. « Avec la réforme de l’Etat, le ministre Gosuin a des compétences, il est possible pour lui de pratiquer des testings (tests mettant en concurrence deux personnes pour tenter de prouver la discrimination, NDLR) », note la députée.
Trois : retirer les aides économiques aux entreprises qui discriminent. On l’a dit plus haut, Actiris connaît, via le guichet, les entreprises pour lesquelles des dossiers sont ouverts. Pour Moureaux, on ne peut pas laisser ces informations dans un tiroir : « On peut décider de retirer les aides économiques aux entreprises qui discriminent. D’après moi, le ministre en connaît déjà certaines, il peut les saisir d’autorité ou après une enquête propre, via un testing. »
Pour ces deux propositions, Didier Gosuin réplique qu’il ne peut agir que dans le cadre de la loi. Et, complexité institutionnelle belge oblige, la prise de sanctions envers les entreprises discriminantes (pour lesquelles il y a eu un jugement, ce qui n’arrive pas souvent dans les faits) est du ressort du fédéral, en vertu de la loi anti-discrimination de 2007. « Si nous faisons un testing et qu’il s’avère positif, nous ne pouvons pas sanctionner l’entreprise. Alors soit on ne m’écoute pas au parlement, soit on ne me croit pas. »
Quoi qu’il en soit, Catherine Moureaux ne veut pas lâcher le morceau et travaille sur un dispositif qui serait plus contraignant pour les entreprises discriminantes. « La législation contraignante, cela fonctionne, justifie-t-elle. Pensez à la présence des femmes sur les listes électorales. » Problème potentiel : « Les employeurs sont souvent allergiques aux contraintes qui les concernent », relève Philippe Van Muylder (FGTB), pour qui il n’est pas impossible d’aller vers un système plus contraignant sans fragiliser les entreprises.
Du côté de Beci (Union des entreprises de Bruxelles), on distingue la discrimination ordinaire (« On discrimine tous, chacun a des mécanismes de préférence lorsqu’il s’identifie à l’autre via l’âge, le sexe ou l’origine », explique Hayate El Aachouche) de la discrimination pour racisme. « Comment sanctionner quelqu’un qui n’a pas conscience qu’il discrimine ? Légalement, ce n’est pas forcément évident de faire la part des choses. Pour avancer, tous les secteurs doivent être sensibilisés à la question. »
Un : accélérer la mise en place de « Zeus », une zone franche autour du canal de Bruxelles où les entreprises reçoivent des aides si elles stimulent le recrutement local. Le projet (plus de détails ci-dessous) n’est nulle part. Selon Didier Gosuin, il se heurte à des problèmes législatifs : « La définition d’entreprise telle qu’elle est prévue dans le texte n’est pas correcte et les arrêtés doivent passer sous les fourches caudines de l’Europe. »
Deux : utiliser toutes les compétences de la Région en ce qui concerne les agences d’intérim et les organismes d’insertion professionnelle. « Avec la réforme de l’Etat, le ministre Gosuin a des compétences, il est possible pour lui de pratiquer des testings (tests mettant en concurrence deux personnes pour tenter de prouver la discrimination, NDLR) », note la députée.
Trois : retirer les aides économiques aux entreprises qui discriminent. On l’a dit plus haut, Actiris connaît, via le guichet, les entreprises pour lesquelles des dossiers sont ouverts. Pour Moureaux, on ne peut pas laisser ces informations dans un tiroir : « On peut décider de retirer les aides économiques aux entreprises qui discriminent. D’après moi, le ministre en connaît déjà certaines, il peut les saisir d’autorité ou après une enquête propre, via un testing. »
Pour ces deux propositions, Didier Gosuin réplique qu’il ne peut agir que dans le cadre de la loi. Et, complexité institutionnelle belge oblige, la prise de sanctions envers les entreprises discriminantes (pour lesquelles il y a eu un jugement, ce qui n’arrive pas souvent dans les faits) est du ressort du fédéral, en vertu de la loi anti-discrimination de 2007. « Si nous faisons un testing et qu’il s’avère positif, nous ne pouvons pas sanctionner l’entreprise. Alors soit on ne m’écoute pas au parlement, soit on ne me croit pas. »
Quoi qu’il en soit, Catherine Moureaux ne veut pas lâcher le morceau et travaille sur un dispositif qui serait plus contraignant pour les entreprises discriminantes. « La législation contraignante, cela fonctionne, justifie-t-elle. Pensez à la présence des femmes sur les listes électorales. » Problème potentiel : « Les employeurs sont souvent allergiques aux contraintes qui les concernent », relève Philippe Van Muylder (FGTB), pour qui il n’est pas impossible d’aller vers un système plus contraignant sans fragiliser les entreprises.
Du côté de Beci (Union des entreprises de Bruxelles), on distingue la discrimination ordinaire (« On discrimine tous, chacun a des mécanismes de préférence lorsqu’il s’identifie à l’autre via l’âge, le sexe ou l’origine », explique Hayate El Aachouche) de la discrimination pour racisme. « Comment sanctionner quelqu’un qui n’a pas conscience qu’il discrimine ? Légalement, ce n’est pas forcément évident de faire la part des choses. Pour avancer, tous les secteurs doivent être sensibilisés à la question. »
Quatre outils pas aboutis… ou peu efficaces
La zone Zeus
C’est quoi ? Zeus, c’est un acronyme pour « zone d’économie urbaine stimulée ». L’objectif est d’octroyer, sur une zone qui se déploie autour du canal de Bruxelles (sur des communes comme Molebeek, Anderlecht…), des avantages fiscaux aux entreprises qui privilégient l’embauche de riverains.
Où en est-on ? Le principe de la zone franche a été approuvé au parlement en janvier 2014, alors que Céline Fremault (CDH) était ministre de l’Emploi. Depuis, aucun cadre budgétaire ou opérationnel n’a encore été prévu. « Zéro », déplore Catherine Moureaux. Didier Gosuin a mis en place, au 1er juin 2015, une « zone de développement » qui accorde des primes aux entreprises qui s’installent à cet endroit. « Mais sans aucune conditionnalité sur l’embauche des gens du quartier », regrette la députée socialiste, pour qui les deux projets se font concurrence. Pour rappel, lorsque le projet a été voté, il avait remporté une large majorité au parlement, à l’exception du FDF, parti de Didier Gosuin, qui s’était abstenu.
La charte diversité
C’est quoi? A Bruxelles, les entreprises peuvent signer des «chartes diversité» mais celles-ci n’ont rien de contraignant. L’initiative a été lancée par Benoît Cerexhe (CDH, prédécesseur de Céline Fremault au ministère de l’Emploi) en 2005. A l’époque, lors du lancement en grande pompe (50 entreprises avaient signé la charte), l’élu humaniste souhaitait lancer une «véritable et profonde mutation des mentalités de tous».
Où en est-on? L’outil existe depuis 10 ans mais, selon nos informations, «il n’est plus vraiment utilisé». Qui plus est, «la charte n’est qu’une déclaration d’intentions, un premier pas symbolique », commente cette source. D’ailleurs, une réflexion est en cours entre les partenaires sociaux pour créer un nouvel outil visant à remplacer la charte. Didier Gosuin confirme l’information et précise que l’idée est d’impliquer les syndicats.
Le plan et le label diversité
C’est quoi? Toute entreprise qui le souhaite peut décider de mettre en place un plan diversité qui, s’il est positivement évalué au bout de deux ans, peut aboutir à l’octroi d’un label diversité. Le dispositif est avant tout qualitatif et a l’avantage d’associer patrons et syndicats.
Où en est-on? En 2015, 21 entreprises bruxelloises ont obtenu ce label. «C’est peu, sur les centaines de milliers d’entreprises de Bruxelles» , commente-t-on chez Beci (patrons bruxellois). D’autant plus qu’en 2015, 13 entreprises ont obtenu le label pour la première fois, les autres étaient dans une procédure de consolidation. Selon l’ordonnance dite Madrane, dans la fonction publique (administration et pouvoirs locaux), un plan diversité doit être mis en place, sans obligation de résultat. Si l’organisme atteint un quota de 10% de personnel issu de quartiers avec un haut taux de chômage, il peut bénéficier de primes. On ne dispose pas d’une photographie exacte de la situation.
Les mesures non ciblées
C’est quoi? Pour être complet, il faut mentionner que des mesures généralistes visent et/ou touchent indirectement des publics discriminés à cause de leur origine. A Bruxelles, les réductions de cotisations sociales attribuées aux entreprises qui engagent des chômeurs longue durée filent en grande partie vers des personnes d’origine maghrébine (selon le monitoring socio-économique 2015). Didier Gosuin a récemment mis en place le contrat d’insertion pour les jeunes: les entreprises engageant des jeunes de moins de 25 ans sans emploi fixe depuis plus de 18 mois reçoivent des primes. «Une arme totale», selon le ministre, pour lutter contre la discrimination à l’embauche.
Où en est-on? Chez les patrons bruxellois (Beci), on constate qu’il existe des mesures pour les publics d’origine étrangère mais qu’«elles demeurent peu connues et qu’aucune évaluation de ces mesures sur le marché de l’emploi n’a été établie».
C’est quoi ? Zeus, c’est un acronyme pour « zone d’économie urbaine stimulée ». L’objectif est d’octroyer, sur une zone qui se déploie autour du canal de Bruxelles (sur des communes comme Molebeek, Anderlecht…), des avantages fiscaux aux entreprises qui privilégient l’embauche de riverains.
Où en est-on ? Le principe de la zone franche a été approuvé au parlement en janvier 2014, alors que Céline Fremault (CDH) était ministre de l’Emploi. Depuis, aucun cadre budgétaire ou opérationnel n’a encore été prévu. « Zéro », déplore Catherine Moureaux. Didier Gosuin a mis en place, au 1er juin 2015, une « zone de développement » qui accorde des primes aux entreprises qui s’installent à cet endroit. « Mais sans aucune conditionnalité sur l’embauche des gens du quartier », regrette la députée socialiste, pour qui les deux projets se font concurrence. Pour rappel, lorsque le projet a été voté, il avait remporté une large majorité au parlement, à l’exception du FDF, parti de Didier Gosuin, qui s’était abstenu.
La charte diversité
C’est quoi? A Bruxelles, les entreprises peuvent signer des «chartes diversité» mais celles-ci n’ont rien de contraignant. L’initiative a été lancée par Benoît Cerexhe (CDH, prédécesseur de Céline Fremault au ministère de l’Emploi) en 2005. A l’époque, lors du lancement en grande pompe (50 entreprises avaient signé la charte), l’élu humaniste souhaitait lancer une «véritable et profonde mutation des mentalités de tous».
Où en est-on? L’outil existe depuis 10 ans mais, selon nos informations, «il n’est plus vraiment utilisé». Qui plus est, «la charte n’est qu’une déclaration d’intentions, un premier pas symbolique », commente cette source. D’ailleurs, une réflexion est en cours entre les partenaires sociaux pour créer un nouvel outil visant à remplacer la charte. Didier Gosuin confirme l’information et précise que l’idée est d’impliquer les syndicats.
Le plan et le label diversité
C’est quoi? Toute entreprise qui le souhaite peut décider de mettre en place un plan diversité qui, s’il est positivement évalué au bout de deux ans, peut aboutir à l’octroi d’un label diversité. Le dispositif est avant tout qualitatif et a l’avantage d’associer patrons et syndicats.
Où en est-on? En 2015, 21 entreprises bruxelloises ont obtenu ce label. «C’est peu, sur les centaines de milliers d’entreprises de Bruxelles» , commente-t-on chez Beci (patrons bruxellois). D’autant plus qu’en 2015, 13 entreprises ont obtenu le label pour la première fois, les autres étaient dans une procédure de consolidation. Selon l’ordonnance dite Madrane, dans la fonction publique (administration et pouvoirs locaux), un plan diversité doit être mis en place, sans obligation de résultat. Si l’organisme atteint un quota de 10% de personnel issu de quartiers avec un haut taux de chômage, il peut bénéficier de primes. On ne dispose pas d’une photographie exacte de la situation.
Les mesures non ciblées
C’est quoi? Pour être complet, il faut mentionner que des mesures généralistes visent et/ou touchent indirectement des publics discriminés à cause de leur origine. A Bruxelles, les réductions de cotisations sociales attribuées aux entreprises qui engagent des chômeurs longue durée filent en grande partie vers des personnes d’origine maghrébine (selon le monitoring socio-économique 2015). Didier Gosuin a récemment mis en place le contrat d’insertion pour les jeunes: les entreprises engageant des jeunes de moins de 25 ans sans emploi fixe depuis plus de 18 mois reçoivent des primes. «Une arme totale», selon le ministre, pour lutter contre la discrimination à l’embauche.
Où en est-on? Chez les patrons bruxellois (Beci), on constate qu’il existe des mesures pour les publics d’origine étrangère mais qu’«elles demeurent peu connues et qu’aucune évaluation de ces mesures sur le marché de l’emploi n’a été établie».