Une fin de vie digne, en bénéficiant de soins et d’un accompagnement de la plus grande qualité, est un droit fondamental. Aujourd’hui, le secteur des soins palliatifs fait face à des difficultés réelles au rang desquelles une véritable saturation : le manque de place devient criant. Cette situation est intolérable car elle vient s’opposer violemment au droit fondamental à la fin de vie digne. A la suite des jeudis de l’hémicycle et de mon interpellation à Cécile Jodogne, j’ai donc interpellé Didier Gosuin sur cette situation, en Commission de la santé du 26 juin.

INTERPELLATION DE MME CATHERINE MOUREAUX À MM. GUY VANHENGEL ET DIDIER GOSUIN, MEMBRES DU COLLÈGE RÉUNI, COMPÉTENT POUR LA POLITIQUE DE LA SANTÉ, LA FONCTION PUBLIQUE, LES FINANCES, LE BUDGET ET LES RELATIONS EXTÉRIEURES, concernant « l’évolution des besoins en soins palliatifs à Bruxelles ».

Mme Catherine Moureaux (PS).- Mourir dans la dignité, entouré et en bénéficiant des soins les plus appropriés, est un droit pour chacun.

Les professionnels des soins palliatifs nous ont interpellés le 4 juin à propos des défis et difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui dans notre Région. En effet, l’augmentation de l’espérance de vie, la croissance démographique, la complexification des pathologies et des possibilités thérapeutiques, l’évolution multiculturelle de notre ville-région, ainsi que son appauvrissement relatif sont autant de facteurs contribuant potentiellement à une demande de plus en plus importante en soins palliatifs. De plus, l’élargissement même du concept, reconnu comme nécessaire par les corps professionnels et scientifiques, récemment rejoints en cela par le monde politique, porte également en lui le germe de besoins reconnus majorés.

Or, il nous revient que les lits actuellement dédiés spécifiquement à ce type de prise en charge en hospitalier ainsi que les services de seconde ligne travaillant au domicile des patients ne suffisent pas pour rencontrer les demandes exprimées aujourd’hui. Le secteur dénonce un débordement de tous les services impliqués.
Concrètement, cela signifierait que certains malades en attente de soins palliatifs doivent être hospitalisés, alors qu’ils souhaiteraient être pris en charge à domicile. Ceci serait non seulement éthiquement dommageable, mais aussi terriblement inefficient. L’apparition de listes d’attente pour certains services signifierait également que certains patients, a contrario, ne reçoivent pas les soins auxquels ils ont droit au moment où le besoin s’en fait sentir, mais bien plus tard. Il s’agirait en la matière de retards coupables dans le chef d’un État qui se veut civilisé.

Palliabru, la plate-forme bicommunautaire et pluraliste chargée de l’organisation du soutien à la première ligne, mais aussi Continuing Care et Semiramis sont subsidiés par la Cocom. Il revient aussi à la Cocom la tutelle sur les institutions hospitalières, ainsi que la coordination de la politique de santé à Bruxelles. Ceci devrait se concrétiser rapidement dans le Plan de santé bruxellois.

Disposez-vous d’informations sur l’utilisation des capacités actuelles en termes de lits disponibles et de soutien aux équipes de première ligne ? Quelle est l’évolution constatée des besoins en la matière aujourd’hui ?

Existe-t-il des listes d’attente pour un ou plusieurs de ces services ? Si oui, est-il possible de connaître le sort réservé aux patients sur liste d’attente ? Autrement dit, vont-ils trouver une autre offre de soins ou doivent-ils attendre leur tour ?

Êtes-vous associé aux réflexions en cours sur l’élargissement du concept de soins palliatifs au niveau fédéral ? Si oui, pouvez-vous nous communiquer le calendrier prévu pour cette thématique ? Le 12 juin, à la même question posée en séance plénière à la Cocof, votre collègue Mme Jodogne répondait qu’il y aurait rapidement une conférence interministérielle à ce sujet.

Pouvez-vous éventuellement nous dire quelles perspectives sont à l’étude au niveau de l’évolution du financement des prises en charge ? Si non, pouvez-vous nous dire s’il est prévu d’aborder ce point en conférence interministérielle (CIM) de la santé publique dans un futur proche ?

Enfin, sachant que certains services dépendent de la Cocof, d’autres de la VGC ou de la Cocom, qui va organiser et comment va s’organiser la concertation autour de ce thème des besoins en soins palliatifs à Bruxelles ? Comment avez-vous prévu d’intégrer cette thématique dans la mise en place du Plan de santé bruxellois ?

M. Didier Gosuin, membre du Collège réuni.- Je tenterai de répondre avec méthode, car j’ai entendu citer bon nombre d’éléments qui relèvent de compétences encore largement partagées entre l’échelon fédéral et notre Région. Certes, la sixième réforme de l’État nous octroie une compétence supplémentaire, mais elle est très limitée. Les budgets sont dérisoires par rapport aux enjeux et ils servent essentiellement à financer la plate-forme.
Le débat de l’allongement se traduira par des choix à opérer, par le pouvoir fédéral en premier lieu, en termes de dépenses de sécurité sociale. La question est de savoir quelle marge supplémentaire l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) voudra accorder au secteur des soins palliatifs. C’est dans ce cadre que nous devrons travailler avec les opérateurs.

Nous sommes conscients de l’importance des soins palliatifs, raison pour laquelle nous avons créé un groupe de travail « soins palliatifs » spécifique dans le cadre de l’élaboration du Plan de santé bruxellois.

Divers éléments nous indiquent que cette compétence nous a été transférée avec une image totalement tronquée de la réalité.

Les chiffres dont nous disposons pour la Belgique ne nous permettent pas d’avoir une vision précise de la réalité. Les acteurs présents dans les groupes de travail pourront sans doute nous apporter des données.

Nous avons étudié les différents aspects des soins palliatifs en Belgique avec la Fédération bruxelloise des soins palliatifs ainsi qu’avec la plate-forme Palliabru, mais également en consultant les différentes études, dont le rapport de la Cellule fédérale d’évaluation des soins palliatifs.

Quand vous lisez ces chiffres, vous constatez qu’on en est au b.a.-ba et que les données ne sont vraiment pas précises. Les médecins généralistes traitent entre 8.000 et 13.000 patients palliatifs ; environ 5.500 résidents palliatifs vivent dans des maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS), et 3.000 patients palliatifs séjournent dans les hôpitaux. Il y a aussi un certain nombre de personnes qui souhaitent mourir à domicile.

Si l’on écoute l’avis des professionnels de la santé, qui ne corroborent pas ces chiffres, entre 10.000 et 20.000 patients ont actuellement besoin de soins palliatifs en Belgique. Cette estimation met en exergue la nécessité de disposer de soins palliatifs de qualité dans tous les lieux de soins.

En effet, la majorité des patients souhaitent mourir chez eux ou dans leur MR ou MRS, ce qui montre bien l’importance des soins palliatifs à domicile.

Bien que l’on se situe dans un secteur en appel de structuration, de développement et de cohérence, les spécialistes considèrent que les soins palliatifs sont correctement structurés en Belgique et sont même un modèle pour l’Europe. Ce n’est évidemment pas une raison pour cesser de développer ce secteur. Ce constat est peut-être réjouissant pour nous, mais cela indique surtout que dans d’autres pays, les soins palliatifs en sont à un stade encore beaucoup plus élémentaire.

Nous avons conclu que certains aspects de l’organisation de ce secteur posent problème et que nous pouvons agir et prendre des mesures dans le cadre du Plan de santé bruxellois. Nous avons adressé aux acteurs de terrain une série de questions sur des problématiques que nous avons relevées. Après une synthèse des réponses fournies, nous rencontrerons les acteurs des soins palliatifs afin de vérifier si la cartographie actuelle correspond à la réalité du terrain et d’évaluer si une enquête supplémentaire est nécessaire pour analyser au mieux la situation actuelle et, peut-être, élaborer des stratégies prospectives.

Comme la plupart des équipes de première ligne émargent de la Cocof, elles copilotent ce groupe de travail avec la VGC. Dans toutes les thématiques relevant de compétences croisées, M. Vanhengel et moi-même avons veillé à ce que ces groupes soient copilotés.

À la suite de la sixième réforme de l’État, la Cocom finance la plate-forme des soins palliatifs ainsi que deux équipes de deuxième ligne. Les MR ont toutes été transférées à la Cocom. Nous avons reçu du niveau fédéral pour les soins palliatifs en MR un budget correspondant à 0,2 équivalent temps plein par établissement. Nous pouvons nous interroger sur l’efficacité de cette mesure. J’entends déjà les questions sur la possibilité de spécialiser toutes les maisons de repos et les services de soins palliatifs avec cette enveloppe. Je ne pense pas que cela soit possible.

Donc oui, parce que nous héritons de cette compétence, nous continuerons à discuter de l’avenir de ce secteur. Nous suivrons les propositions de loi déposées au niveau fédéral, mais forcément, au stade actuel, nous ne sommes pas consultés ou associés à ces réflexions.
Si l’on constate, à l’issue de l’ensemble des consultations, notamment avec les professionnels, un appel à une collaboration plus étroite entre les services, les entités et les institutions pour organiser l’amélioration des soins à domicile – dont les soins palliatifs -, nous envisagerons de demander l’intégration de cette problématique dans la conférence interministérielle de la santé publique.

Une fois la consultation du secteur terminée, quand des solutions auront été envisagées en concertation, nous examinerons les meilleures démarches à mettre en place pour répondre au mieux à la demande des patients et des équipes soignantes.
Si des patients sont sur une liste d’attente pour un type de soins palliatifs, il est bien évident que les autres offres de soins font aujourd’hui de leur mieux pour pallier ce manque éventuel.

Des solutions comme des structures d’accueil intermédiaires entre l’hôpital et le domicile, telles que la Cité Sérine, pourraient également être envisagées.
Je reste donc très modeste. Si vous vous attendiez à ce que le Collège réuni prenne aujourd’hui une position ferme et définitive dans ce domaine, vous serez déçus. En effet, la Cocom a hérité de cette compétence et est en train de récolter les demandes du secteur. Elle observe également que la réalité ne correspond pas forcément au cadre légal dont nous avons hérité en partie.

Nous allons donc devoir opérer des choix entre les différentes pistes qui émergeront du Plan de santé bruxellois. Certes, les soins palliatifs sont un domaine essentiel, mais je n’encouragerai pas systématiquement les Régions et Communautés à oeuvrer sur les plates-bandes du niveau fédéral. Si, d’une manière ou d’une autre, il n’y a pas d’élargissement des financements de l’Inami, il ne faut pas croire que les Communautés vont pouvoir se substituer. C’est donc une réflexion globale que nous allons devoir mener.

Cette réflexion globale a bel et bien été lancée. Elle se fera avec les acteurs de terrain et en concertation avec le niveau fédéral. Le cas échéant, nous évaluerons les dispositifs dont nous avons hérité.

Par exemple, le dispositif des petits équivalents temps plein donnés dans les maisons de repos. Est-ce de l’argent bien utilisé ? Ne devrait-il pas l’être autrement ? Je n’ai pas de position arrêtée, mais je pense que nous devons nous poser la question.

Mme Catherine Moureaux (PS).- La concertation est une très bonne idée. Nous vous encourageons à continuer. En revanche, je pense que la modestie ne doit pas brider l’ambition et, surtout, elle doit vous pousser à défendre les Bruxellois puisque vous êtes ministre bruxellois.

Les chiffres concernant la Belgique sont très intéressants mais, comme vous le signalez vous-même, la réalité que nous présente le niveau fédéral est très inexacte. Je pense qu’il est nécessaire de disposer d’une cartographie affinée. En allant défendre les intérêts de la capitale et de ses habitants au niveau fédéral et communautaire – car les formations dépendent en grande partie des compétences de la Communauté -, vous êtes pleinement dans votre rôle.

Il est également important d’être attentif à la manière dont on va classer et reclasser les soignants dans ce dossier.

Votre rôle est de réclamer une cartographie, un relevé des besoins. Je ne suis pas sûre que vous pourrez, dans ce cadre, vous limiter à écouter les professionnels. Vous devrez être plus proactif et commanditer une étude, que ce soit via un appel à projets ou une mission à confier à l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale. Il nous faut une étude pour connaître les besoins réels en soins palliatifs à Bruxelles.