Quelle place pour le tourisme aujourd’hui à Al Hoceima ? Dans leur présentation de la situation actuelle de la région, les élus locaux n’ont pas insisté sur le tourisme. Mais lorsque nous sommes revenus sur les ressources principales de la région, c’est cependant une des trois ressources principales qu’ils nous ont évoquées. Il y a évidemment un paradoxe là derrière vu les qualités étonnantes du site (voir fiche sur la géographie de la région). Dans Manarat Al Moutawassit, le grand plan de développement pour la région, il est également peu question de tourisme, hormis un projet énorme de prolongement de la corniche (voir fiche sur le plan). Mais le nom du projet – « le phare de la Méditerranée »- ainsi que le catalogue des réalisations programmées –toutes magnifiques au regard et très ambitieuses- peut faire penser qu’il s’agit de faire de la ville une destination de tourisme d’une journée ou de tourisme de luxe. Sans que cela ne soit explicitement mentionné cependant. Mais il y a tourisme et tourisme aujourd’hui à Al Hoceima. Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) qui reviennent sont-ils des touristes ? Ils ont une importance capitale dans l’économie de la région. Les autres, ce sont les Marocains d’ailleurs au Maroc et les Européens et Américains. Ceux-là se comportent davantage comme les touristes que nous connaissons : location d’hôtel, repas pris à l’extérieur. Les MRE se comportant pour partie comme des locaux, c’est-à-dire en occupant leur bien sur place et en achetant les produits de base et en les cuisinant. Le tourisme comme source d’emploi local Le représentant de l’USFP, qui est l’ancien maire d’Ajdir, nous a raconté comment sur la thématique « emploi » un gouvernement antérieur avait d’après lui raté une occasion majeure. Ainsi il explique que par le passé il y avait à Ajdir un merveilleux Club Med. Trois cents familles du lieu en vivaient, sans compter les jeunes qui y travaillaient. Le Club était composé de cases, qu’il a fallu à un moment donné rénover. D’après lui le Ministère du Tourisme de l’époque a mis des bâtons dans les roues de l’opérateur au lieu de soutenir sa démarche. Le Club a fermé en 2002. Pour lui c’est ce type de projets qu’il faut développer pour garder les gens dans le Rif en développant l’emploi. Il regrette que depuis un banal hôtel ait été construit sur ces terres. En fait les citoyens rencontrés font fort la différence entre les types de tourisme. Ils aiment leurs MRE. Et ils pensent que le tourisme doit amener de l’emploi. Par contre ils ont été plusieurs à nous exprimer d’une manière ou d’une autre qu’ils ne souhaitaient pas que leur ville devienne une destination du tourisme de masse. Une chose nous a frappé lors de notre séjour. Même si nous n’avons pu interroger qu’un petit nombre de travailleurs de l’hôtellerie, l’unanimité de leurs réponses nous a étonnés : aucun n’avait grandi ou n’avait étudié à Al Hoceima. Ils avaient tous appris leur métier dans une des grandes villes environnantes… Nous avons cherché à savoir si une formation d’hôtellerie existait à Al Hoceima. Il semble que ce ne soit pas le cas. Ceci ne facilite évidemment pas du tout l’engagement de personnes du lieu dans ce secteur du tourisme. D’après nous, si l’ambition pour la ville est qu’elle soit d’un attrait majeur pour les touristes, il faut que les autorités se penchent sur cette question. Soit en développant une formation locale à ces métiers, soit en mettant en place de grandes facilités pour les jeunes qui voudraient choisir ce métier : aides pour aller étudier ailleurs et place garantie au retour. La fréquentation cet été Tous les touristes sont inquiets de la situation actuelle. Les MRE bien au courant par les réseaux sociaux des difficultés que connaît la région pourraient moins revenir cet été. Cela préoccupe beaucoup d’habitants. Les Marocains d’ailleurs dans le Maroc et les Européens et Américains pourraient être moins influencés par les réseaux sociaux. Mais certaines agences de voyage pourraient déconseiller la destination cet été. Et de ce côté-là aussi la crainte est réelle qu’ils viennent moins cet été. Sur place, plusieurs opérateurs touristiques nous ont fait part de leur vécu par rapport aux répercussions du conflit politique sur leur travail cette saison. Un patron d’hôtel nous a priés de faire revenir les touristes. Il nous a expliqué que 90% de ses réservations avaient été annulées. Une femme dirigeant un club de plongée, elle, était plutôt rassurante : elle n’avait pas jusqu’ici l’impression que ses clients seraient moins nombreux que les années précédentes. En se rendant sur la corniche et sur Miramar, ceux de nos membres qui étaient déjà venus à Al Hoceima ont vu une claire baisse de fréquentation. Des instructions royales ont été relayées le 10 juillet, alors que nous étions sur place, qui visaient à accélérer le retrait des forces de l’ordre pour sauver la saison estivale. Cependant nous n’avons pas pu percevoir le mouvement de retrait pendant notre séjour. Si nous avons vécu une ville sûre pour les touristes, notre conclusion sur ce point de la fréquentation cet été est claire : seule la combinaison de deux éléments pourrait radicalement changer les décisions des touristes. Il faudrait d’une part que les manifestants s’engagent à continuer les manifestations de manière pacifique. Et d’autre part, et c’est déterminant, il faudrait que le retrait des forces de l’ordre soit effectif. Cette combinaison devrait, de plus, être largement publicitée par les médias pour être véritablement efficace.
3. Le plan de développement stratégique de la province « Manarat Al Moutawassit »
Le Manarat Al Moutawassit (MAM) est sur toutes les lèvres à Al Hoceima. Et pour cause, il s’agit d’un grand programme de développement pour la province qui avait été lancé en 2015. Ce programme destiné à faire de la ville « le phare de la Méditerranée » est ambitieux. Il prévoit durant la période de 2015 à 2019 de mettre en place 530 projets portant sur 5 axes : la gestion du territoire, la promotion de l’environnement social, la protection de l’environnement, le renforcement des infrastructures, et le développement de l’espace cultuel. Le tout pour un budget de 6,5 milliards de dirhams soit 59 millions d’euros. Aujourd’hui, deux ans après son lancement officiel, peu de concrétisations ont vu le jour dans la province. Seuls 10 projets auraient été réalisés. A ce sujet, les responsables locaux que nous avons rencontrés expliquent la responsabilité de l’état central dans les retards de la mise en place. Selon eux, il ne s’agit pas d’une spécificité liée au pays : de tels retards sont courants pour des projets d’une telle envergure. Néanmoins, les raisons plus précises des dysfonctionnements restent floues. Au fil de nos rencontres, nous percevons que la décentralisation, mais surtout les rivalités entre les partis politiques ont pu y jouer un rôle. Une mise en place relancée Le mouvement « Hirak » va dès son amorce s’emparer des projets prévus par le programme de développement et les intégrer dans son cahier de revendications. Pour rappel, le projet avait été officiellement lancé par le Roi et communiqué à la population en 2015. A la fin du mois de juin 2017, et suite aux manifestations continues à Al Hoceima, Mohamed VI lui-même s’empare du dossier. Il commande deux enquêtes à l’Inspection générale de l’Intérieur et à l’Inspection générale des finances et somment les ministres de tout lancer de manière concrète avant de partir en vacances. Dans ce contexte, les autorités locales que nous avons rencontrées se sont montrées rassurantes sur les suites du programme de développement. Elles estiment que le mouvement Hirak a été très positif pour l’avancée concrète des projets. Patience et confiance sont demandées aux citoyens… En insistant, nous avons pu visiter le chantier du nouvel hôpital provincial d’Ajdir. Outre les nombreux travaux d’embellissement des voiries, ce sont les seules concrétisations matérielles d’une accélération de la mise en œuvre du MAM que nous avons pu observer durant notre court séjour à Al Hoceima. Un paradoxe nous est apparu au fil de notre mission et de nos conversations avec les habitants au sujet de ce fameux plan de développement que tous semblent appeler de leurs vœux : Quelle place pour le secteur de la pêche ? A Al Hoceima, ce secteur a par le passé nourri des milliers de familles. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous nous interrogeons sur le fait que cette dimension faisant partie de l’ADN de la ville ne se retrouve pas dans le plan créé pour la province. Alors même que le Ministère de la pêche maritime finance le programme à hauteur de 320 millions de dirhams. Des questions subsistent D’un point de vue technique également, nous nous interrogeons sur plusieurs aspects de la mise en place du programme. Sur place, nous avons comme dit plus haut constaté de nombreux travaux sur les voiries employant des ouvriers. Il apparait que ceux-ci ne sont pas originaires d’Al Hoceima mais nous dit-on « des régions du sud ». Ce constat nous amène à nous poser la question de l’emploi des ressources humaines locales dans les immenses chantiers prévus dans le Manarat Al Moutawassit. Le taux de chômage des jeunes à Al Hoceima est très important. Puisque les travaux sont financés par de l’argent public, exiger de la part des entrepreneurs d’employer des travailleurs issus de la province apparaitrait comme une première réponse concrète aux besoins d’emploi de la population locale. Concernant la pérennité des infrastructures, nous n’avons pas eu l’occasion d’avoir accès aux documents précisant pour chaque projet : le coût des équipements, les frais de fonctionnement et le nombre d’emplois créés. Néanmoins, lors de nos rencontres avec les autorités et un médecin, il nous a été dit que par le passé ces trois aspects manquaient cruellement lors de la construction de nouvelles infrastructures. C’est donc un élément qui devra sans doute maintenir l’attention des autorités locales et du mouvement afin de permettre que les bâtiments construits puissent être réellement mis au service des usagers via des budgets de fonctionnement leur ayant été strictement attribués. Plus généralement, lors de nos entretiens avec les autorités locales et lors de la consultation du Manarat Al Moutawassit, nous n’avons pas perçu quel était le positionnement stratégique de la ville d’Al Hoceima sur la côte méditerranéenne marocaine aux côtés de Nador, la ville industrielle, et de Tanger le port international. Nous reviendrons sur ce thème notamment dans la fiche consacrée à la pêche. « Quelle place pour le secteur de la pêche ? A Al Hoceima, ce secteur a par le passé nourri des milliers de familles. Qu’en est-il aujourd’hui ? »
2. Comment la géographie donne à Al Hoceima de grandes opportunités et de grandes faiblesses
Un bijou dans un écrin exceptionnel Ce qui frappe immédiatement le visiteur à Al Hoceima, c’est la beauté à couper le souffle de la baie. Côte déchiquetée, falaises majestueuses aux strates apparentes, eau bleu lagon, petites îles paradisiaques, la région rappelle un peu à l’européen la Bretagne, mais sous un soleil brillant constant. La ville est également magnifique ! Perchée sur la falaise, ruisselant par de petites routes sur ses plages, composée harmonieusement de petites maisons, presque troglodytes, d’un beau dégradé du blanc au bordeaux, la ville semble accueillir chaleureusement ses visiteurs. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été classée plus belle ville du Maroc et 7ième plus belle baie au monde par le guide mondial des cités urbaines ! En y regardant de plus près, le charme de la baie est aussi dû à sa qualité de boisement. Les falaises alternent avec de beaux bocages indemnes et donnent l’apparence d’une perle travaillée dans un écrin sauvage. Des forces et des faiblesses fort liées à la géographie Il faut ajouter à ce tableau de la terre d’Al Hoceima sa situation géographique pour ainsi dire « à cheval » sur deux plaques tectoniques, ce qui régulièrement y provoque des tremblements de terre. Ainsi la région a connu en 1994, 2004 et 2014 des secousses telluriques. En février 2004, c’est un séisme de magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter (!) qui avait frappé la ville ! Plus de 600 personnes y avaient trouvé la mort et bien sûr les bâtiments et les routes avaient été fortement endommagés. Pour rappel une partie de notre équipe avait commencé le travail de coopération internationale à ce moment-là. Mais la situation particulière d’Al Hoceima au milieu de la côte méditerranéenne du Maroc alliée à son enclavement terrestre dans une montagne difficile à franchir en ont aussi fait un site stratégique pour la contrebande, le passage du haschich cultivé dans les montagnes et celui des migrants attirés par le rêve européen. Aujourd’hui les revenus liés à la culture du kif (le haschich) tendent à diminuer et les autorités évoquent un projet pilote de remplacement de celle-ci par la culture du safran. Enfin, la nature relativement préservée de la baie jusqu’ici abrite une biodiversité impressionnante : des espèces tout-à-fait spécifiques ne se retrouvent que dans la région. Ainsi par exemple du mérou d’Al Hoceima, ou du fameux « negro », le dauphin noir connu pour ses destructions de filets, dont les autorités locales et un patriarche rencontrés nous ont beaucoup parlé. C’est que la localisation géographique d’Al Hoceima et sa beauté sont ses plus grandes forces comme ses plus grandes faiblesses. La région n’a pas d’énergie fossile ou de diamants. Elle a des terres arables mais elles sont difficiles d’atteinte, enclavées dans la montagne, et le déboisement a laissé partir l’eau, les sols ont l’air riche mais le manque d’eau rend la terre dure à cultiver. Par le passé l’agriculture faisait vivre la région. Pas question même de pêcher. Aujourd’hui il semble d’après plusieurs témoignages que beaucoup de fermiers ont quitté leurs hameaux. Et que la ville ne donne pas assez de travail pour tout le monde. Al Hoceima a des paysages merveilleux à offrir au tourisme. Mais le représentant du PJD et les autorités locales insistent sur le fait que les investisseurs ont peur des tremblements de terre. Et les habitants veulent préserver la biodiversité. Une habitante d’une trentaine d’années raconte : « Dans mon enfance, tout était vert. Je suis effrayée maintenant par le développement de la ville dans les zones vertes. » L’accaparement des terres et les relations avec l’Europe Elle avait beaucoup de petits propriétaires terriens. L’Etat en a délogé une partie pour des projets immobiliers ou pour loger l’armée. L’accaparement des terres, au profit des étrangers, des riches ou des militaires, remplit bien des conversations dans la région. L’ex-président de la commune d’Ajdir, socialiste, nous raconte par exemple comment une grande partie des terres collectives du village ont été données en gestion à la CGD (société immobilière de gestion) pour intégrer un grand programme de développement qui a finalement abouti dans la construction d’un hôtel. Pour lui, cet hôtel n’est pas un projet de développement qui sert bien sa communauté. Al Hoceima est en fait au front de la lutte anticapitaliste et écologiste ! Al Hoceima est proche de l’Europe, elle a vécu beaucoup de ses expatriés. Mais la crise frappe en Europe aussi et les liens se sont parfois distendus avec les familles restées au pays. Enfin, sa situation géographique la met évidemment à l’avant-poste des relations entre l’Union européenne et l’Afrique, un front à part entière aujourd’hui, que ce soit en matière de collaboration judiciaire sur le thème du trafic de drogue, en terme d’échanges commerciaux, ou en terme de gestion des flux de migration !
1. Les revendications du Mouvement « Hirak »
Le cahier de revendications Les revendications portées par les manifestations à Al Hoceima puis par le Mouvement « Hirak » ont évolué au fil du temps. Suite à la mort de Mouhcine Fikri, les manifestants réclament que toute la lumière soit faite sur les conditions précises de la mort du jeune vendeur de poissons et que justice lui soit rendue. Des voix s’élèvent également pour mettre fin à certaines pratiques policières abusives et à la corruption. Très vite, les revendications portées prennent une ampleur plus générale et touchent à tous les domaines de la gestion publique. L’approche méthodologique du cahier des revendications proposé par le Mouvement « Hirak » précise que celles-ci ont été élaborées de manière collective et participative. Il en découle un document constitué de 21 revendications. Les domaines couverts concernent deux dossiers judiciaires, le domaine juridique, la santé, l’enseignement, le sport, la culture, l’environnement, le développement territorial, l’emploi, la pêche, l’agriculture, l’administration et la fiscalité. Au fil de nos rencontres à Al Hoceima, plusieurs aspects sont soulignés au sujet de ces revendications. Tout d’abord, l’absence de velléités séparatistes au sein de la population et des manifestants. Nos interlocuteurs nous répètent tous qu’ils tiennent à la monarchie et à l’unité du pays. Un deuxième élément qui nous est rapporté concerne le parallélisme entre les revendications actuelles et celles des mobilisations antérieures que la région a connues. Cette proximité est nous dit-on particulièrement forte avec les contestations de 1958-1959 qui portaient 18 revendications. Les grandes tendances sont toujours d’actualité en 2017 comme : l’intégration du rif dans les programmes économiques, la lutte contre le chômage ou l’investissement dans l’enseignement. Ce prolongement dans le temps renforce sans aucun doute le sentiment d’abandon de la région de la part des autorités mais également la légitimité des demandes. Un second parallélisme qui nous a été régulièrement rappelé est celui qui lie les revendications du Mouvement « Hirak » et les projets prévus par le fameux « Manarat Al Moutawassit », le programme de développement pour la région pour la période de 2015-2019. Sa non application sur le terrain renforce la conviction des habitants qu’il y a en effet eu des négligences de la part de l’Etat à leur encontre. La prise en main de ce dossier par le souverain lui-même tend à confirmer cette impression mais apaise également les plus optimistes qui espèrent que l’intervention royale permettra enfin de faire bouger les choses. Unanimité autour des revendications socio-économiques Lors de nos échanges sur place, les revendications à caractère socio-économique nous sont apparues comme étant les plus prégnantes, et les plus unanimement partagées par nos interlocuteurs. L’ensemble des membres des partis politiques que nous avons rencontrés à savoir des élus locaux issus de l’Union Socialiste des Forces Populaires, du Parti pour la Justice et le Développement ainsi que du Parti Authenticité et Modernité, nous disent les soutenir. Notons aussi que tous les membres de la section locale de l’USFP ont dès le début de la mobilisation rejoint les manifestations du Mouvement « Hirak ». Les revendications portées ont une autre caractéristique : elles concerneraient en fait potentiellement de nombreux citoyens dans tout le pays. Y céder du jour au lendemain comporterait-il le risque pour les autorités que d’autres régions réclament les mêmes projets demain ? La mobilisation continue y compris hors rif autour du mouvement « Hirak » tend à démontrer l’attrait des citoyens pour les demandes exprimées. Un « risque » qui pourrait compliquer les mises en application. Une tension apparait donc entre la légitimité des revendications portées et une mise en application concrète problématique. L’enjeu est d’importance. D’autant plus que le pays est plongé dans un processus de régionalisation. Un contexte qui amène immanquablement le renvoi des responsabilités entre les différents niveaux de pouvoirs, phénomène que nous connaissons bien en Belgique. La libération des prisonniers, une revendication devenue prioritaire Mais on ne peut aborder la question des revendications du Hirak sans reconnaître qu’aujourd’hui l’une d’elles prend le pas sur toutes les autres : la libération des activistes arrêtés lors des manifestations. Pour la majorité de nos interlocuteurs, y compris dans le chef des autorités, la libération des détenus apparait comme une nécessité. Tout d’abord, parce qu’elle est devenue pour le « Hirak » un préalable à toute reprise du dialogue. Pour certains, cela s’explique par le fait que le mouvement actuellement amputé d’une partie de ses leaders ne disposerait plus de référents crédibles pour la poursuite concrète de la mobilisation et des négociations avec les autorités. D’un point de vue juridique, ensuite, parce que les chefs d’accusation sont peu clairs. Malgré nos questions, nous n’avons d’ailleurs pas réussi à obtenir de réponses claires à ce sujet de la part des responsables politiques que nous avons rencontrés. Il semble, dès lors compliqué pour les autorités de maintenir en prison des leaders porteurs de revendications socio-économiques somme toutes légitimes comme on l’a vu plus haut et espérer un dialogue constructif. Nous vous invitons à consulter à ce sujet notre fiche « Manifestations, répression et prisonniers ». Cette revendication a aujourd’hui pris le dessus sur toutes les autres. Les dernières manifestations à Al Hoceima rassemblent surtout les proches des détenus. Ce sont pour l’instant les seuls qui osent encore braver les forces de l’ordre présentes en très grand nombre. Pour conclure, un témoignage bref mais éclairant sur l’état d’esprit des familles des détenus : «Nous sommes égorgés aujourd’hui. S’ils nous rendent nos proches, nous resterons tranquilles et la vie pourra continuer ! ». Cette phrase est terrible. Elle porte en elle différentes significations. Mais elle témoigne de manière évidente, avant tout, d’une grande douleur.
VIDEO – Les Experts – Arnaud Pinxteren (Ecolo) et Catherine Moureaux (PS) – 24 juin 2017
Discrimination à l’embauche : L’OCDE pointe à nouveau la faiblesse belge !
Ce vendredi 30 juin 2017, j’ai interrogé le Ministre bruxellois de l’emploi sur le rapport OCDE sur notre marché de l’emploi. L’occasion de faire le point sur la mise en ouvre du plan bruxellois de lutte contre la discrimination à l’embauche. L’OCDE pointe tout particulièrement, et c’est dans la continuité de ses rapports précédents, un écart magistral entre les taux d’emploi des immigrés “non-européens de deuxième génération” (48.7%) et celui des “autochtones” (69.7%). Cet écart est parmi les plus élevés de l’Union européenne ! Alors où en est notre plan bruxellois de lutte contre la discrimination à l’embauche? Voici les grandes lignes de la réponse du Ministre. 1/L’ordonnance anti-discrimination devrait passer en troisième lecture au Gouvernement la semaine prochaine ! Youpie !!! Pour rappel c’est le texte de loi qui devrait permettre aux inspecteurs régionaux de pratiquer du testing des employeurs. 2/Le Ministre a bien envoyé des travailleurs supplémentaires pour aider les services de la Communauté en matière d’équivalence. 3/Le monitoring bruxellois est sur le métier à Actiris (on n’a pas les moyens aujourd’hui de produire des statistiques “bruxello-bruxelloises”). Mais il s’agit seulement d’une étape de “faisabilité”… En conclusion, la lutte contre la discrimination avance même si c’est un mouvement lent.
Manque de transparence dans l’accès aux places en crèche – DH du 29 juin 2017
Le 26 juin 2017, j’ai déposé une résolution visant la transparence du processus d’accès aux places d’accueil de la petite enfance. A lire en cliquant sur le lien suivant: Résolution transparence Le 29 juin 2017, la DH a publié un article sur le sujet intitulé « Manque de transparence dans l’accès aux places en crèche » que vous pouvez lire ci-dessous: Manque de transparence dans l’accès aux places en crèche La députée Catherine Moureaux (PS) a déposé une proposition de résolution pour répondre aux inquiétudes du secteur.Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles doit le plus rapidement possible prendre des mesures afin de rendre transparent le processus d’attribution de places de crèches reconnues et subsidiées par l’ONE. Dans le contexte actuel d’insuffisance de l’offre par rapport à la demande, il est crucial de permettre aux parents de connaître leur ordre dans les différentes listes d’attente, mais aussi de mieux informer ceux-ci sur les différentes procédures d’inscription, de classement et d’évolution. Tel est le sens global de la proposition de résolution que vient de déposer la députée Catherine Moureaux (PS) au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un texte jugé positif et allant dans la bonne direction par la Ligue des familles. « Malgré l’ouverture de plusieurs milliers de places d’accueil via les différents plans cigogne, l’accès à un milieu d’accueil comporte encore de nombreux freins. Dans certaines régions, les listes d’attente des milieux d’accueil s’allongent. L’accessibilité pleine et entière des milieux d’accueil n’est pas garantie pour tous les enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles. De plus, il est reconnu que, pour les enfants issus de milieux à faible niveau de revenu, l’accueil précoce en milieu d’accueil contribue à réduire les inégalités de développement. Par ailleurs, de nombreux parents sont démunis face aux démarches à effectuer en vue de confier leur enfant en milieu d’accueil. Les procédures sont en fait aussi variées que les milieux d’accueil », observe ainsi la députée socialiste. Afin d’améliorer la transparence dans le secteur de la petite enfance, la parlementaire bruxelloise propose entre autres d’étudier la possibilité de créer des guichets locaux d’accueil d’enfants, d’assurer la communication auprès des parents quant aux démarches à entreprendre pour obtenir une place lors des consultations prénatales, mais aussi de permettre à chaque parent de connaître son ordre dans les listes d’attente. Le gouvernement est également vivement encouragé à mettre en œuvre la réforme du monde de la petite enfance prévue dans la déclaration de politique communautaire 2014-2019. « Les parents ont besoin de transparence, surtout dans un contexte où il y a un problème de confiance envers le politique », insiste la socialiste. Du côté de la Ligue des familles, on se félicite en tout cas de l’initiative de la députée francophone. « Il n’y a pas assez de transparence dans l’attribution des places. On ne connaît pas toujours bien les critères et, souvent, rien n’est centralisé au sein d’une même commune. Les parents doivent parfois s’inscrire dans les sept crèches de leur commune, sans trop y voir clair. Le texte va dans le bon sens », indique l’association. Julien Thomas
Résolution imposant la transparence du processus d’accès aux places en crèche
PROPOSITION DE RÉSOLUTION VISANT LA TRANSPARENCE DU PROCESSUS D’ACCÈS AUX PLACES D’ACCUEIL DE LA PETITE ENFANCE DÉPOSÉE LE 26 JUIN 2017 PAR MME CATHERINE MOUREAUX ET M. DIMITRI LEGASSE ET MME MURIEL TARGNION ET M. PATRICK PRÉVOT ET MME ISABELLE EMMERY Développements Idéalement, l’accessibilité des milieux d’accueil devrait être garantie pour tous. En effet, l’accueil de la petite enfance assure trois fonctions importantes1,2,3,: Une fonction éducative, qui favorise l’épanouissement de l’enfant en développant ses compétences ; Une fonction sociale, de soutien à la parentalité et de création du lien social ; Une fonction économique, permettant aux parents de poursuivre leur vie professionnelle, de suivre une formation, de rechercher un emploi ou d’effectuer des démarches dans ce sens. La fonction économique est évidente pour tous aujourd’hui et nous ne la développerons pas. Notons juste qu’elle est essentielle en termes de développement de l’égalité hommes-femmes. En ce qui concerne la fonction de soutien à la parentalité, elle « se concrétise, par exemple, par un soutien de type socio-sanitaire, en permettant à l’enfant d’évoluer dans un milieu de vie adapté (hygiène, sécurité matérielle et affective, respect des rythmes, etc.), ce qui est particulièrement important lorsque le logement familial ne le permet pas. Ou encore par un soutien éducatif ; en offrant aux parents des lieux où ils sont confrontés à d’autres pratiques éducatives que les leurs, le milieu d’accueil permet à ceux-ci de se construire des repères pour éduquer leur enfant»4. En outre, les milieux d’accueil travaillant dans un climat d’ouverture et de dialogue avec les familles favorisent la création de liens entre parents et le développement d’une relation de partenariat entre parents et professionnels, valorisant ainsi les compétences des parents. Ils remplissent une fonction de lien social : « le milieu d’accueil est un lieu de (re)socialisation parentale car les parents peuvent y rencontrer les professionnels qui prennent soin de leur enfant, mais aussi d’autres parents »5. Quant à l’aspect éducatif, il est primordial pour tous les enfants. La fréquentation d’un milieu d’accueil participe de fait au développement de l’enfant, tant par l’acquisition du savoir-être que par celles des savoir-faire. Il semble désormais acquis qu’une socialisation en milieu d’accueil à partir de l’âge de six mois est favorable au développement, et, à partir de un an, très favorable au devenir de l’enfant6. De plus, il est reconnu aujourd’hui que, pour les enfants issus de milieux à faible niveau de revenu, l’accueil précoce en milieu d’accueil contribue à réduire les inégalités de développement7. Or, malgré l’ouverture de plusieurs milliers de places d’accueil via les différents plans cigogne, l’accès à un milieu d’accueil comporte encore de nombreux freins. Dans certaines régions, les listes d’attentes des milieux d’accueil s’allongent. L’accessibilité pleine et entière des milieux d’accueil n’est pas garantie pour tous les enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles. Par ailleurs, de nombreux parents sont démunis face aux démarches à effectuer en vue de confier leur enfant en milieu d’accueil. Les procédures sont en fait aussi variées que les milieux d’accueil. L’information sur l’évolution du rang dans la liste est extrêmement difficile à obtenir et dans certains cas, les parents se retrouvent sans indication précise sur les possibilités d’accueil. Cette situation entraîne de grands espoirs suivis de déconvenue, de dépit. Par manque d’information en temps utile, de nombreux parents doivent revoir leur organisation professionnelle ou leurs différentes démarches de formation, en particulier à l’occasion d’un refus d’inscription tardif. Selon l’enquête menée par la Ligue des Familles en 2015, 54% des parents se disent stressés par la recherche d’un milieu d’accueil8 en Belgique francophone. Les témoignages pointent principalement comme source de stress la carence d’informations et le délai d’attente avant la réponse définitive. Ainsi la transparence constitue un outil essentiel du processus d’accès à une place d’accueil dans les milieux d’accueil de la petite enfance afin de permettre aux parents une organisation optimale de leur vie professionnelle et de leur vie privée. L’instauration d’un système plus transparent dans les modalités d’inscription permet de lutter efficacement contre les discriminations basées sur l’origine ou le statut socio-économique subies ou ressenties par certains parents. Pour les pouvoirs publics, il s’agit d’une question de bonne gouvernance et d’affirmation de l’égalité de traitement entre tous les citoyens. Dans le contexte de pénurie de places, il est indispensable de fermer la porte à tout abus et à tout régime qui ne serait pas basé sur des éléments objectifs. Tous les parents doivent pouvoir connaître, et ce à tout moment, les procédures d’inscription ainsi que les procédures de classement et d’évolution de rang dans les listes d’attente. Cette transparence doit être garantie pour tous les milieux d’accueil subventionnés. Enfin, la transparence est également un outil de pilotage du système. Lorsque la transparence est acquise, l’évaluation des demandes peut enfin prendre place dans le système. En effet, aujourd’hui le pilotage de la politique publique d’accueil se base quasi exclusivement sur une norme en termes d’offre. Les demandes ne sont pas connues au niveau de la Communauté française. La transparence est un premier pas vers la connaissance accrue des demandes exprimées et des demandes rencontrées. Notons qu’en Flandre, un seul opérateur local est reconnu et les parents savent où aller pour s’informer et s’inscrire. L’idée d’un guichet local unique pour l’accueil de la petite enfance semble de fait appropriée si l’on veut avancer vers une simplification des procédures d’inscription et une centralisation telles que voulues par la déclaration de politique communautaire. Notons aussi qu’il existe un autre moment où les démarches pourraient être rappelées à tous les parents : c’est l’enregistrement de la naissance au guichet communal. Bien évidemment, améliorer l’accessibilité aux milieux d’accueil passe aussi par d’autres mesures. D’un point de vue financier, l’adaptation de la participation financière des parents aux revenus des parents est une mesure qui va dans le sens d’une plus grande accessibilité. Aujourd’hui, l’ensemble de l’offre des milieux d’accueil n’applique pas ce principe. Ceci limite dès lors l’impact positif du système. Enfin d’un point de vue géographique, l’accessibilité concerne quant à elle la localisation des milieux d’accueil et les possibilités de les atteindre. La programmation des milieux
Comment les dispositifs politiques peuvent-ils garantir la participation des publics ? – Bruxelles Santé N°86
Comment les dispositifs politiques peuvent-ils garantir la participation des publics ? Les techniques développées en santé communautaire et la notion d’ « expert du vécu » sont de plus en plus largement acceptées comme utiles à la chose publique dans son ensemble. Elles sont aussi au cœur de développements plus controversés : manipulation de groupe à des fins d’endoctrinement, panels non représentatifs ou dont le but est finalement le gain personnel plus que l’action collective… Dans ce contexte, comment garantir une vraie participation des publics, qui amène de la valeur ajoutée collective, qui ne reste pas cantonnée à de l’empowerment, utile par ailleurs, mais qui peut prendre place dans bien d’autres contextes ? Une participation qui devient synonyme d’engagement, de lien social fort, qui consolide notre société ? Il n’est pas simple de répondre à cette question. Mais il me semble que le plus important est avant tout de garantir aux participants qu’il sera fait quelque chose de leur avis. Du respect donc, en premier lieu. Car sinon le processus ne fera qu’éloigner la population, qui aura investi des heures en vue de fournir un travail utile, des politiques et mesures mises en place. Et pas sûr qu’elle sera à nouveau réceptive à la prochaine initiative du même type, quand bien même elle serait mille fois mieux organisée ! Ensuite, pour ainsi dire concomitamment, il faut des moyens ! Car le respect des avis émis ne pourra être garanti que moyennant un investissement important dans le processus mis en place. Pour qu’il soit qualitatif, mais surtout parce que c’est à ce prix seulement que la représentativité du panel sera au rendez-vous. Or celle-ci est clé pour garantir la légitimité du processus et la légitimité pour les politiques d’adopter les conclusions de la participation plutôt que de décider eux-mêmes en faveur des individus qu’ils veulent défendre. Car elle est clé pour garantir que le processus tient en compte au premier chef l’intérêt du plus grand nombre ! Catherine Moureaux Présidente du Groupe PS au Parlement francophone bruxellois, Députée bruxelloise et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Cet article est paru dans Bruxelles Santé n°86 – Juin 2017: www.questionsante.org
Reconnaître la ségrégation et la souffrance des Métis
Ce mercredi 7 juin 2017, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté la résolution concernant la ségrégation ciblée à l’encontre des métis issus de la colonisation belge et ses conséquences dramatiques, en ce compris les adoptions forcées. Mon intervention ci-dessous: « Monsieur le Président, chers collègues, c’est un honneur pour moi de vous présenter ce travail. C’est la continuation d’un travail entamé il y a plusieurs mois au Parlement francophone bruxellois, où toutes les familles politiques présentes aujourd’hui sont présentes et où nous avons travaillé de manière assez originale, soutenue et dans une unanimité presque parfaite, sur le thème. Nous y avons travaillé sur une forme qui n’existe pas malheureusement dans notre règlement ici et peut être pour les chefs de groupe présents, c’est quelque chose qui pourrait être développé. Nous avons travaillé à une résolution endossée par la commission des Affaires générales du Parlement francophone bruxellois. Cette modalité n’existe pas dans notre règlement, et c’est dommage. Nous y avons travaillé sous une forme qui n’est pas proposée dans notre règlement ici. C’est dommage, car, pour des questions comme celle-ci, cela pourrait être judicieux de manière à endosser largement des textes qui ont un caractère un peu particulier comme celui que je vais présenter aujourd’hui. De quoi s’agit-il? Il s’agit de l’histoire de la colonisation, de la décolonisation et de l’indépendance. Il s’agit de l’histoire de plus de 10 000 enfants se déroulant sur une période s’étendant du début du XXe siècle à 1960. Plus de 10 000 enfants donc qui ont été séparés de leurs parents par l’État, par les institutions religieuses, au motif, au seul motif qu’ils avaient une couleur de peau qui n’était pas la bonne.Ces enfants étaient métis, ces enfants étaient issus pour la plupart issus d’unions entre des pères blancs et des mères originaires d’Afrique subsaharienne – avec quelques cas, très rares, dans l’autre sens. Laissez-moi vous lire tout d’abord deux témoignages. Pour commencer, voici celui d’Evelyne Schmit qui a aujourd’hui65 ans. Il a été recueilli en 2016. Elle témoigne dans un magnifique reportage que je vous conseille, intitulé «La couleur du péché». « La couleur du péché », c’est la manière dont les missionnaires et les sœurs parlaient des métis. Voici ce qu’elle a raconté: «À deux ans et demi, mon père Pierre Schmit est venu m’arracher des bras de ma mère. Il attendait que je sois propre pour pouvoir me placer dans un internat spécial pour métis. Il a dû s’y reprendre à plusieurs fois pour me trouver, car ma mère me cachait à chaque fois qu’il venait. Il a d’ailleurs fini par m’emmener de force.» Elle dit ensuite: «La plupart des pères blancs ne voulaient pas que leur enfant métis grandisse dans la culture africaine. Ils voulaient qu’on reçoive une éducation occidentale, qu’on s’habille, qu’on mange et qu’on parle comme des blancs.» Sur son enfance moins précoce, lorsqu’elle était à l’orphelinat, elle dit encore: «Je me rappelle que nous nous demandions souvent pourquoi nous étions loin de nos parents, qu’avions-nous fait pour être mis à l’écart? Nous en avons déduit que c’était à cause de notre couleur de peau. Il y avait les Blancs, les Noirs et puis il y avait nous.» Le commentateur du reportage dit alors: «Il faut dire que les métis ne viennent pas seuls à cette conclusion». Il explique alors que les missionnaires rappelaient souvent aux métis que leur peau portait «la couleur du péché». Evelyne Schmit dit encore bien plus tard: «Il y a quelque chose qui nous a tous fait souffrir et qui a forgé notre identité commune. C’est le sentiment de n’appartenir à aucun groupe, de toujours passer pour l’étranger. En Afrique, on me pointait du doigt dans la rue. On se moquait parfois de moi. En Belgique, les parents ne laissaient pas leurs enfants jouer avec moi à cause de ma couleur de peau et de ma situation d’orpheline. Aux États-Unis, les gens de la communauté afro-américaine m’ont rejetée en apprenant que mon père était blanc. Partout où j’ai vécu, le même schéma se répétait: il y avait les Noirs, les Blancs et puis moi, là, entre les deux.» Ce témoignage est poignant et nous montre combien limiter une personne à sa couleur de peau peut faire des dégâts. Ici on passe par les métis pour cela mais c’est clair que la dichotomie identitaire, c’est quelque chose qui fait des dégâts terribles dans nos sociétés encore aujourd’hui. J’aimerais maintenant vous lire le témoignage de Madeleine Apendeki, mère d’enfants métis. Cette dame avait deux filles qui lui ont été enlevées. Son témoignage a été recueilli il y a bien des années en 1986 à Uvira au Congo. Madeleine Apendeki dit ceci: «La sœur Edmée m’a dit que cette dame est venue d’Europe et s’est rendue au parquet afin de demander une autorisation d’aller chercher un enfant à l’internat de Save, car elle n’avait pas d’enfant.» Précisons que l’internat de Save est un internat souvent mentionné lorsqu’on parle de cette thématique. C’est un internat du Rwanda, duquel sont venus près de 300 enfants en Belgique à l’indépendance. «Quand elle est arrivée à Save, la dame venue d’Europe a choisi votre fille et c’est pour cela qu’on vient vous demander si vous acceptez que votre fille aille en Europe pour continuer ses études à charge de cette dame.» Madeleine Apendeki poursuit: «J’ai refusé catégoriquement. La sœur Edmée a essayé de me calmer, mais j’ai refusé. Ils ont dû fuir avec l’enfant dans la voiture. J’ai essayé de courir après la voiture, mais c’était impossible.» Plus tard dans son témoignage, elle dit: «Je demande à mes enfants de ne pas penser que je les ai abandonnées.»Vous voyez les traumatismes subis de part et d’autre. Avant de continuer, à ce stade, je voudrais remercier l’Association des Métis de Belgique (AMB) parce que nous avons travaillé pratiquement «main dans la main» au Parlement francophone bruxellois. C’était un travail très original et intéressant. Nous avons pu entendre les témoignages de ces personnes. Je voudrais remercier en particulier François Milliex, président de l’AMB, et son épouse ainsi que Charles Géradin, vice-président